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Retour en traduction

Parler de traduction, en parler en détail, avec minutie, je ne le fais qu’avec É., et c’est alors tout de suite très pointu puisque c’est son métier aussi, et même dans son cas sa formation universitaire. Dans le temps j’allais souvent sur un forum de traducteurs (surtout -trices), mais il a disparu quelques mois, et ses archives avec lui, et avec tout ça la plupart de ses intervenants, si bien que j’ai perdu l’habitude de m’y rendre. Et puis là encore, on parlait entre collègues, on ne faisait pas d’effort de pédagogie particulier. On justifiait nos choix entre professionnels.

Je disais donc hier que ce serait fastidieux et pas forcément très intéressant, mais est-ce bien certain ? Puisque ça me passionne et qu’il m’arrive de savoir transmettre correctement ce qui me passionne, je parviendrai peut-être, exploit, à intéresser certains d’entre vous à ces dilemmes ? Et puis ici, je ne gênerai pas grand-monde, et ces intéressés, s’il y en a, n’auront qu’à se signaler, comme ça je viendrai de temps en temps leur raconter des trucs.

Je vais donc reprendre cette première phrase du premier paragraphe du deuxième[1] kit d’introduction d’un jeu, City Of Mist, un jeu de rôles que j’aime beaucoup, et que je pratique souvent. [2]

In a corrupt and haunted metropolis, individuals from all walks of life become rifts to mythical powers from beyond, torn between their personal lives and the legend growing within them.

Ce kit a été traduit par Barbus Inc. et dans cette traduction cette phrase la voici :

Dans une métropole corrompue et tourmentée, toutes sortes d’individus deviennent les Réceptacles de puissances mythiques venues d’ailleurs, tiraillés entre leur vie personnelle et la légende qui grandit en eux.

Or, cette traduction, je la trouve laide, je la trouve choquante. J’ai donc proposé, sur le serveur Discord de Philippe où nous discutons beaucoup, de la traduire ainsi :

Dans une métropole corrompue, hantée, des habitants de toutes origines deviennent les failles par lesquelles s’engouffrent des puissances mythiques, des légendes, qui grandissent en eux et les éloignent de leurs proches.

Et je vais m’attacher plus particulièrement à mon choix de traduction pour « personal lives », qui est, je crois, ce qui m’a causé le plus gros dilemme dans tout le paragraphe. Rappelons déjà que les Barbus avaient choisi de traduire ça par « vies personnelles », ce que je considère comme une faute, et même une faute assez grave. La vie personnelle, en français, n’admet pratiquement qu’un seul contexte, et c’est l’opposition à la vie professionnelle. On ne dit pas, on ne dira jamais, « dans ma vie personnelle, je suis passionné de jeu de rôle ». Déjà parce qu’on dit peu « vie personnelle », ensuite parce que cette expression « vie personnelle », c’est une expression définie par la négative : tout ce qui n’est pas ce qu’on fait dans la vie. Alors bien sûr, on pourrait dire que c’est un peu pareil pour le « personal life » anglais, mais non, parce ce que c’est une expression là-bas bien plus fréquente et plus générale, plus riche (elle a même sa page wiki, googlez, vous allez voir), qu’on traduirait bien plus naturellement, en français par « vie privée », en fait, voire « vie intime ».

Par ailleurs on comprend tout de suite à la lecture de cette phrase qu’il ne s’agit pas d’opposer ces légendes qui grandissent à des passe-temps ou des activités de loisir (la « vie personnelle »), mais à quelque chose de plus grand : à une identité, une identité profonde, que l’expression anglaise « personal life » capte un peu[3], et l’expression « vie personnelle » pas du tout. Vie privée, déjà plus. Alors pourquoi n’ai-je pas traduit par vie privée, ou vie intime pour aller encore plus loin, au cœur de l’identité des personnages, à leur identité profane, celle qui s’oppose (« torn between ») à ces forces mystiques ? Pourquoi ai-je traduit par « leurs proches », quand même assez éloigné de « personal lives » ? Eh bien, pour pas mal de raisons.

D’abord, parce que j’ai triché, parce que la traduction triche toujours. Elle triche en connaissant le contexte et souvent en le connaissant mieux que le lecteur, parce qu’elle a déjà la suite. Je sais, ici, ce que l’auteur a voulu dire. Et je voudrais m’arrêter un instant sur cette expression. En français, quand on dit « qu’est-ce que tu veux dire ? », on ne s’intéresse pas à ce qui a été dit[4], mais à ce qui justement ne l’a pas été, ce qui n’a pas été dit mais qui aurait dû être transmis. Le signifié derrière le signifiant, diraient certains. Le sous-texte, pourrait-on dire aussi. La volonté du locuteur : son intention. La traduction, c’est ce métier qui consiste à lire ce qui n’est pas écrit, bien plus que ce qu’on croit, parce que, passant d’une langue à l’autre, on perd totalement l’accès au signifiant. L’intention revient alors premier chef, au premier plan, et c’est elle qu’on va viser. C’est pour ça que la traduction n’est pas tant que ça un exercice de lexicographie, de connaissance de la langue source et de choix de mots établis par correspondance, c’est d’abord un exercice herméneutique, un exercice d’interprétation, de compréhension de la langue source, puis un exercice rédactionnel qui repose, lui, sur la connaissance de la langue cible.

Je ne suis pas très fort en anglais, et je ne le serai jamais. Je ne dirai jamais que je suis bilingue. J’écoute une ou deux heures par jour cette langue, je la lis constamment, il m’arrive souvent de la parler, mais je ne vis pas dans un pays anglophone et surtout je n’y ai pas vécu petit et jamais plus que quelques semaines, et il y a peu de raisons que ça change. Mon anglais s’améliorera encore, mais il ne le fera qu’à la marge. Ce n’est pas très grave. Ce qui compte, c’est que je le comprenne (et que je sache vraiment, vraiment parler, et écrire, le français). Je ne suis pas très fort en anglais mais je comprends bien ce qu’on me raconte, en général. (Par ailleurs, je connais bien ce jeu, mais là je crois que c’est très annexe). Et dans cette phrase, ces personal lives et ces legend growing within them, je comprends très bien ce qu’on veut me dire. On me signifie qu’il y aura d’un côté un versant mystique, fantastique, légendaire ; de l’autre un versant humain, réaliste, quotidien. Alors, décidément, cette vie intime ? Ne pourrait-elle pas convenir ? Ou bien vie quotidienne, tiens ?

Commençons par celui-là : vie quotidienne a plusieurs problèmes. Déjà, il respire un très fort parfum de banalité, de routine, de truc pas bien passionnants, ce qui le disqualifie un peu. En plus, lisez la suite et vous verrez : je vais en avoir besoin ailleurs, et ce n’est pas le genre de mots qu’on aime trouver deux fois en deux lignes. Vie intime, alors ? Ne conviendrait-il pas mieux ? Je ne trouve pas. Déjà, parce que « vie intime » attrape vite une connotation soit sexuelle et romantique, soit restreinte à l’individu, à lui seul, ce qu’il a de plus intime précisément, et ça, ça ne convient pas, parce que ce versant humain, réaliste, qui s’oppose au mystique, il n’est pas du tout fait que d’intimité. Dans ce cas précis, il n’en sera même pas principalement fait. Parce que, que va-t-il se passer, dans ce jeu où le fantastique va nous forcer à délaisser nos personal lives ? Est-ce que c’est de soi qu’on va s’éloigner ? de sa vie intime, de ce cercle très restreint qu’on appelle l’intimité ? Un peu, mais pas tellement. Pas que. On va plutôt s’éloigner de ce qui compte en général dans la vie profane, dans la vie humaine. Et ce qui compte en général dans ces histoires, ce sont les gens. On va s’éloigner de ceux qui nous entoure. On va s’éloigner de nos proches. C’est bien, ça, les proches. Je trouve, oui. Parce que c’est exactement ce qui va se passer (et là, pour le coup, je parle d’expérience).

Vous avez remarqué comme j’ai employé « éloigner », depuis tout à l’heure ? C’est, en français, le mot qui vient naturellement dans ce contexte. On s’éloigne. Je dois dire que ça m’arrange, parce que ça m’évite d’avoir à traduire « torn between ». Torn between, c’est « tiraillé entre », bim bam boum, pas à réfléchir. C’est la traduction des Barbus. Bim bam boum, pas à réfléchir. Vraiment ? Tiraillé, c’est un peu soutenu, non ? Un enfant de dix ans ne dirait pas « je suis tiraillé ». Alors que « torn », c’est le participe passé de « tear », un mot banal et usuel qu’un enfant de quatre ou cinq ans emploiera déjà. On a l’équivalent, en français : c’est déchiré. On le dit, d’ailleurs, pour « torn between » : je suis déchiré entre mon amour de City of Mist et cette piètre traduction. Alors pourquoi est-ce « tiraillé » qui nous est venu tout de suite ? Parce qu’on s’est fixé d’abord non sur le registre de langue, mais sur l’intensité de l’expression, le sentiment qu’elle provoque. Et « torn between », en anglais, ce n’est pas un déchirement, c’est moins fort que ça. En français, un déchirement c’est terrible, et c’est irréversible. Mais quand on est « torn between », rien n’est encore joué. On est… tiraillé. Mais si je choisis de traduire « torn between » par tiraillé, comme le voudrait le bon sens, j’obtiens : « tiraillés entre leurs proches et ces légendes qui grandissent en eux ». Dis comme ça, ça ne choque pas. Mais reprenons le début et ajoutons ce nouveau morceau :

Dans une métropole corrompue, hantée, des habitants de toutes origines deviennent les failles par lesquelles s’engouffrent des puissances mythiques, tiraillés entre leurs proches et ces légendes qui grandissent en eux.

Ça ne va pas du tout. Je ne vous refais pas le discours sur l’apposition[5], un exemple de difficulté de traduction finalement très mal choisi[6], mais c’est là qu’il s’applique. Il faut trouver autre chose et le plus simple, comme ces légendes grandissent en fin de phrase, c’est de les basculer en sujet. Le français est une langue qui n’est pas économe de ses propositions relatives, elle dispose d’un bel arsenal de pronoms rien que pour ça et pour cette raison elle en abuse souvent, c’est pour ça qu’elle aime bien « renouveler son sujet ». Ça pose, ça clarifie, ça permet de construire des phrases très lisibles, très compréhensibles, alors qu’elles ont dix mille tiroirs (lisez Proust).

Dans une métropole corrompue, hantée, des habitants de toutes origines deviennent les failles par lesquelles s’engouffrent des puissances mythiques, des légendes, qui grandissent en eux et les éloignent de leurs proches.

Le sujet est renouvelé, on ne l’a pas perdu de vue, et grâce à cet « éloigner », plutôt que « tiraillé », il devient le sujet de toute cette relative, parfait. Je vous passe les détails, pourquoi la virgule, les histoires de foisonnement, et voilà ! Nous avons notre première phrase. Cette phrase et donc tout le raisonnement qui précède m’aura pris une trentaine de secondes à traduire, dirais-je. Peut-être une minute. C’est quand même beau, le cerveau, non ? Bien sûr je n’ai pas articulé tout ce raisonnement, mais je crois pouvoir dire en toute sincérité que chacun des éléments énoncés m’est passé par la tête, à chaque fois comme un éclair, pour parvenir à la dernière formulation. Et la beauté de la chose, c’est que chacune de ces étapes, vous vous en serez certainement rendu compte et vous n’allez d’ailleurs pas résister à l’envie de m’en faire part, chacune de ces étapes est discutable. Elles ne sont pas totalement arbitraires, parce qu’elles sont toutes justifiées, mais elles le sont toujours au moins un peu, parce qu’il a fallu trancher, et trancher en fonction d’éléments subjectifs. On pourrait certainement en déduire que tout cela, c’est quand même du blabla, pas fondé sur grand-chose, des goûts et des couleurs et voilà tout, de l’intellectualisme mal placé. Vous vous imaginez bien que je ne serai pas d’accord, mais je ne compte pas argumenter. Je dirai simplement que moi, ce que je déduis de tout cela, c’est que la traduction, c’est quand même un peu de l’art.

Notes

[1] Oui, il y en a eu un avant, très semblable mais pas traduit. J’y reviendrai si vous voulez, c’est intéressant, parce que le texte de ce premier paragraphe a un peu changé entre les deux versions.

[2] Oui, il s’est passé bien des choses depuis 2014, des choses qui expliquent ce long silence, ce long silence en ces lieux cependant, en ces lieux seulement. Pensez-vous ! Me taire, moi ! Mais n’accusons pas le jeu trop vite. En 2014, date du billet précédent, j’ai eu un deuxième fils, deux mois après le billet en question. Fini, les voyages ! Bonjour, la vie ! Et puis j’étais résolument à mon compte et voilà que j’écrivais tout le temps, pour gagner ma vie, et tout soudain le besoin d’écrire ici, pour autre chose, s’est enfui. En 2018, un troisième fils n’a pas arrangé les choses, évidemment. Mais bref : contrairement aux apparences, je n’ai jamais autant écrit que depuis.

[3] Même si pas très bien ; voilà un bel élément pour juger que ce texte n’est pas « bien » écrit : il faudrait quelque chose de plus fort, de plus évocateur, ici. Pourquoi « il faudrait » ? Vous verrez quand je parlerai d’intentionnalité.

[4] Essayez un peu de dire un jour à quelqu’un « qu’est-ce que tu dis ? » plutôt que « qu’est-ce que tu veux dire ? », vous allez voir, c’est pas pareil. Nettement plus agressif. « Qu’est-ce que tu dis ? », c’est l’équivalent de « répète un peu pour voir ».

[5] Sur le serveur de Philippe.

[6] Je me demande encore pourquoi c’est ça qui m’est venu en premier ; parce que je voulais rester uniquement technique, ne parler que grammaire et surtout pas herméneutique ? Possible.

La carte, le territoire, le temple et le roman

Houellebecq est décidément un auteur important. Ce livre, comme l’indique son titre, est tout entier une expérience de point de vue, un roman cartographique, une façon de donner du sens au réel non par son contenu, qui n’est qu’un informe fouillis, absurde et violent, mais par son organisation (“la carte est plus importante que le territoire”). Ce n’est d’ailleurs pas vraiment un roman, et Houellebecq, le personnage Houellebecq, nous le dit clairement : il ne veut plus rendre compte du monde comme narration (mais comme juxtaposition, ajoute-t-il, ce qui est plus énigmatique). Bien sûr, on peut le décrire comme un roman, le raconter, ce que ne se prive pas de faire l’éditeur dans le texte de quatrième (sûrement aussi l’auteur ; j’imagine qu’il y a au moins fourré son nez), mais ce texte, qui se trompe déjà sur ce point, se trompe sur un autre. Il contient une erreur manifeste, un adjectif résolument faux : classique.

Même si l’auteur lui-même l’avait employé, il serait absurde. Ce livre n’a rien de classique. S’il s’agissait d’évoquer grâce à lui la rigueur, la rigueur des lignes, ce type d’épure qu’on prête aux temples grecs, sûrement y aurait-il quelque chose à creuser, mais ce serait aller bien loin pour ce pauvre adjectif qui, appliqué à la littérature, n’a jamais voulu dire ça. La littérature classique n’a jamais été épurée. Il y a toujours eu une tenue de la langue (comme les temples tiennent : remarquons d’ailleurs, en passant, que ce classicisme de l’épure qui, penserait-on, ne s’est jamais mieux exprimé que dans la rigueur dorique des temples, est un leurre : les temples doriques, ou ce qui nous en reste, sont massifs, très loin d’être élancés ; leurs colonnes sont ventrues, leur proportions bien moins élégantes que leurs homologues corinthiens, qui de leur côté sont déjà loin de l’épure, puisqu’ils sont fleuris. Épure ou élégance, il faut choisir, visiblement), il y a toujours eu en littérature classique une tenue de la langue, disais-je, un effort de style qui est ici rigoureusement absent (rigoureusement : c’est le mot clé). C’est même là, paradoxalement, qu’on pourrait y trouver l’équivalent de la rigueur dorique : dans le refus de l’ornement. Ce livre a de l’épure, donc, mais n’est certainement pas classique. De plus, il est innovant, ce que ne peut pas être, par définition, un roman classique.

D’ailleurs, c’est à peine un roman, et même, ce ne le serait pas du tout si son auteur n’avait tenu à ajouter cette affaire policière qui en occupe le dernier tiers et qui, paradoxalement, encore, naît du meurtre symbolique du personnage Houellebecq, comme si effacer l’auteur, le sacrifier, le déchiqueter littéralement, redonnait naissance au romanesque. Cependant, ce dernier tiers est très clairement le maillon faible du livre, à tel point qu’on se demande pourquoi Houellebecq, Houellebecq l’auteur, a voulu l’insérer. L’histoire de Jed Martin, ou plutôt le tableau de Jed Martin, ce territoire peint dans l’œil d’un Dieu moqueur et cartographe, avait en elle-même toute la force désirée, et contenait tout ce que l’auteur voulait nous dire. Ce tout est peu, mais il est grand. Il s’agit d’organisation, et les longs développements consacrés aux utopistes du xixe nous le montrent clairement. C’est de l’organisation du monde qu’il est question, une organisation vouée au dépérissement, vouée au retour à l’organique.

Mais s’il n’est pas classique, il est en revanche formel, ce qui est, me semble-t-il chez Houellebecq, une nouveauté (formel à ce point, veux-je dire ; j’ai cru toutefois comprendre que La Possibilité d’une île devait avoir, déjà, ce caractère, mais je ne l’ai pas lu, aussi sauté-je allègrement au-dessus de cette hypothèse). Il est tenu. Les descriptions sous forme de mode d’emploi, les paragraphes wikipédiesques y sont légions (m’a d’ailleurs sauté aux yeux le ridicule du procès en plagiat qu’on a voulu lui intenter : il aurait recopié des paragraphes de Wikipédia ! Bon sang ! C’est pourtant bien sûr : il fallait qu’il le fasse. Le ton dégagé, résolument informatif (et tout est dans le “résolument”, et même, c’est là qu’est la moquerie dans l’œil du Dieu : cet absurde sérieux de l’informatif), voilà l’essence même de ce livre. Une carte. Ce livre est une carte. Je rougis de honte par procuration pour les critiques qui ont osé, résolument osé, ne pas voir ça). Il n’y a guère que le long monologue du père, ainsi que ceux du personnage Houellebecq, pour déroger à la règle, et très brillamment, puisque ainsi l’auteur porte le fer là où il faut (ce sont deux passages très émouvants). Il n’y aurait que quelques éclairs, quelques secondes de sensibilité dans nos vies, de courts passages fugaces, et souvent gênés, au cours desquels quelque chose de résolument humain se passe sous nos yeux. Le reste n’est que stupide conséquence de notre organisation, de notre système économique, de notre système de production. Voilà la conclusion vers laquelle il nous mène.

Simple, mais il fallait le calculer

L’intelligence artificielle est un objectif bien trop ambitieux, et particulièrement idiot. En effet, le problème qu’elle est censée résoudre, savoir, élever la machine au rang de l’humain, admet une solution bien plus élégante, et très à notre portée : il s’agit de parvenir à la bêtise naturelle, qui rendra l’homme aussi idiot qu’une machine. Nous nous sommes collectivement lancés sur cette voie depuis de nombreuses années et les premiers résultats sont plus que probants.

Le buffet de l'oncle Jean

Un peu avant cinq heures, en novembre, quand le temps est au beau, humide mais beau, et clair, les vitres de l’immeuble qu’on voit de ma fenêtre au loin sur la colline de Bicêtre ont des reflets de bronze poli. De belles plaques de bronze, comme on n’en voit plus, et où en verrait-on ? L’époque n’est pas au beau matériau, l’époque est au plastique et au béton, au rationnel moulé qui permet de monter, à peu de frais, en peu de temps, l’équivalent de ce que nos ancêtres mettaient une vie et des fortunes à bâtir. Évidemment, c’est bien plus laid. Mais c’est ainsi. On ne voit plus de bronze.

J’ai l’impression qu’avec les siècles, nous ne nous enrichissons pas : ce sont les choses qui s’appauvrissent. Bien sûr, on peut toujours acheter un beau meuble en bois massif, mais cela nous ruinerait tout autant que l’achat de son buffet de chêne avait ruiné le vieil oncle Jean, tandis qu’on peut trouver en kit son équivalent contreplaqué pour moins qu’une bouchée de pain, enfin, son équivalent pratique, son équivalent d’usage, car en réalité, ce meuble en kit est d’une laideur repoussante ; surtout il est déjà, dès le moment de l’achat, obsolescent. Il ne tiendra pas l’hiver. Il ne constituera jamais un patrimoine, contrairement au beau buffet de l’oncle Jean dont plus personne ne sait que faire et qui encombre toujours la maison des grands-parents, en vente depuis le mois d’avril. Ainsi nous nous entourons d’une laideur éphémère, et nous achetons à fonds perdus de petites choses qui disparaîtront bien vite, dont la valeur s’évanouira immédiatement après la caisse et qu’il faudra racheter, et qu’après nous nos enfants rachèteront.

On pourrait penser que les choses, ces choses devenues seulement pratiques, ayant perdu de leur importance, laisseraient ainsi place à une autre dimension de l’être, une dimension qui serait sûrement spirituelle ou, en tout cas, loin du matérialisme. Mais ce n’est pas le cas. Nous ne gagnons pas en signification à mesure que les choses en perdent. Sûrement parce que le sens est dans les choses, en grande partie du moins. En tout cas, il semblerait que nous n’en ayons pas assez en nous pour remplacer le sens disparu. C’est ce que nous dit Houellebecq, ou plus exactement ce qu’il ne nous dit pas, ce que sa sécheresse nous montre, ce qu’il veut signifier avec ses descriptions courtes et les plus plates possibles de notre quotidien, ce grand vide que nous n’arrivons plus à meubler alors que le beau buffet de l’oncle Jean y arrivait si bien.

La passerelle

De la passerelle du chaperon vert, au-dessus de l’A6, on voit l’église portugaise de Gentilly, un Sacré-Cœur. Elle veille de toute sa hauteur sur les automobilistes qui s’engouffrent, les uns dans le tunnel menant au périphérique intérieur et à la porte d’Orléans, les autres sur la bretelle s’élevant vers l’extérieur, la porte d’Italie. Les grands anges de bronze aux ailes déployées, depuis les années 30, ont versé sur son clocher de béton quatre coulées de larmes vert-de-gris. Cette église, c’est Paris, c’est Byzance, c’est Gotham City. Puis on se tourne et, dans l’autre sens, vers l’horizon, au-delà de ces milliers de voitures, c’est la Bretagne, Lyon, Bordeaux, Clermont-Ferrand et Lodève à la sortie du tunnel, en bas du défilé, qui laisse le Nord enfin derrière nous. Mais avant cela, il y a Villejuif, Gustave Roussy sur sa colline : le cancer qui nous guette, parce que la mort, elle, n’est jamais très loin. La passerelle du chaperon vert, au-dessus de l’A6, est émouvante comme seule sait l’être la laideur.

Flaubert et les voix

Flaubert[1] est un auteur exceptionnellement rapide. On saute une ligne ; une année a passé. C’est aussi le maître du propos rapporté, du style indirect. Il va jusqu’à maltraiter la chronologie des événements historiques pour donner l’occasion à ses personnages d’évoquer leurs thèses et de parler du monde tel qu’il va ; ils deviennent alors, non pas la voix de l’auteur, mais ses yeux : ce qu’il a vu, et ils parcourent ou forment le spectre des opinions d’alors, titres de journaux orientés à l’appui. L’auteur Flaubert est une panoptique.

Sénécal continuait : l’ouvrier, vu l’insuffisance des salaires, était plus malheureux que l’ilote, le nègre et le paria, s’il a des enfants surtout.

— « Doit-il s’en débarrasser par l’asphyxie, comme le lui conseille je ne sais plus quel docteur anglais, issu de Malthus »

Et se tournant vers Cisy :

— « En serons-nous réduits aux conseils de l’infâme Malthus ? »

Cisy, qui ignorait l’infamie et même l’existence de Malthus, répondit qu’on secourait pourtant beaucoup de misères, et que les classes élevées…

— « Ah ! les classes élevées ! » dit, en ricanant, le socialiste. « D’abord, il n’y a pas de classes élevées ; on n’est élevé que par le cœur ! Nous ne voulons pas d’aumônes, entendez-vous ! mais l’égalité, la juste répartition des produits. »

Ce qu’il demandait, c’est que l’ouvrier pût devenir capitaliste, comme le soldat colonel. Les jurandes, au moins, en limitant le nombre des apprentis, empêchaient l’encombrement des travailleurs, et le sentiment de la fraternité se trouvait entretenu par les fêtes, les bannières.

Hussonnet comme poète, regrettait les bannières Pellerin aussi, prédilection qui lui était venue au café Dagneaux, en écoutant causer des phalanstériens. Il déclara Fourier un grand homme.

— « Allons donc ! » dit Deslauriers. « Une vieille bête ! qui voit dans les bouleversements d’empires des effets de la vengeance divine. C’est comme le sieur Saint-Simon et son église, avec sa haine de la Révolution française : un tas de farceurs qui voudraient nous refaire le catholicisme ! »

M. de Cisy, pour s’éclairer, sans doute, ou donner de lui une bonne opinion, se mit à dire doucement :

— « Ces deux savants ne sont donc pas de l’avis de Voltaire ? »

— « Celui-là, je vous l’abandonne ! » reprit Sénécal.

— « Comment ? moi, je croyais… »

— « Eh non ! il n’aimait pas le peuple »

Puis la conversation descendit aux événements contemporains : les mariages espagnols, les dilapidations de Rochefort, le nouveau chapitre de Saint-Denis, ce qui amènerait un redoublement d’impôts. Selon Sénécal, on en payait assez, cependant !

— « Et pourquoi, mon Dieu ? pour élever des palais aux singes du Muséum, faire parader sur nos places de brillants états-majors, ou soutenir, parmi les valets du Château, une étiquette gothique ! »

— « J’ai lu dans la Mode », dit Cisy, « qu’à la Saint-Ferdinand, au bal des Tuileries, tout le monde était déguisé en chicards. »

— « Si ce n’est pas pitoyable ! » fit le socialiste, en haussant de dégoût les épaules.

— « Et le musée de Versailles ! » s’écria Pellerin. « Parlons-en ! Ces imbéciles-là ont raccourci un Delacroix et rallongé un Gros ! Au Louvre, on a si bien restauré, gratté et tripoté toutes les toiles, que, dans dix ans, peut-être pas une ne restera. Quant aux erreurs du catalogue, un Allemand a écrit dessus tout un livre. Les étrangers, ma parole, se fichent de nous ! »

— « Oui, nous sommes la risée de l’Europe », dit Sénécal.

— « C’est parce que l’Art est inféodé à la Couronne. »

— « Tant que vous n’aurez pas le suffrage universel… »

— « Permettez ! » car l’artiste, refusé depuis vingt ans à tous les Salons, était furieux contre le Pouvoir. « Eh qu’on nous laisse tranquilles. Moi, je ne demande rien seulement les Chambres devraient statuer sur les intérêts de l’Art. Il faudrait établir une chaire d’esthétique, et dont le professeur, un homme à la fois praticien et philosophe, parviendrait, j’espère, à grouper la multitude. — Vous feriez bien, Hussonnet, de toucher un mot de ça dans votre journal ? » — « Est-ce que les journaux sont libres ? est-ce que nous le sommes ? » dit Deslauriers avec emportement. « Quand on pense qu’il peut y avoir jusqu’à vingt-huit formalités pour établir un batelet sur une rivière, ça me donne envie d’aller vivre chez les anthropophages ! Le Gouvernement nous dévore ! Tout est à lui, la philosophie, le droit, les arts, l’air du ciel ; et la France râle, énervée, sous la botte du gendarme et la soutane du calotin ! »

Le futur Mirabeau épanchait ainsi sa bile, largement. Enfin, il prit son verre, se leva, et, le poing sur la hanche, l’œil allumé :

— « Je bois à la destruction complète de l’ordre actuel, c’est-à-dire de tout ce qu’on nomme Privilège, Monopole, Direction, Hiérarchie, Autorité, Etat ! » et, d’une voix plus haute : « que je voudrais briser comme ceci ! » en lançant sur la table le beau verre à patte, qui se fracassa en mille morceaux[2].[3]

Cela rend plus étonnant encore les nombreuses fois où l’auteur s’exprime directement, donne son avis, juge, en particulier lorsqu’il nous transmet le peu d’amour qu’il éprouve pour son personnage, Frédéric Moreau, quand, par exemple, il évoque “sa prodigieuse couardise”, ici :

Il en fut de même les fois suivantes. Dès que Frédéric entrait, elle montait debout sur un coussin, pour qu’il l’embrassât mieux, l’appelait un mignon, un chéri, mettait une fleur à sa boutonnière, arrangeait sa cravate ; ces gentillesses redoublaient toujours lorsque Delmar se trouvait là.

Étaient-ce des avances ? Frédéric le crut. Quant à tromper un ami, Arnoux, à sa place, ne s’en gênerait guère ! et il avait bien le droit de n’être pas vertueux avec sa maîtresse, l’ayant toujours été avec sa femme ; car il croyait l’avoir été, ou plutôt il aurait voulu se le faire accroire, pour la justification de sa prodigieuse couardise[4]. Il se trouvait stupide cependant, et résolut de s’y prendre avec la Maréchale carrément.[5]

L’auteur est là, et donne de la voix, à la manière de Balzac, voix parmi les voix et propos rapportés. Flaubert est une charnière entre les siècles : il se refuse aux mots d’esprit du précédent et tait ses idées le plus possible, au profit des impressions, mais il déborde et ses opinions le rattrapent, et soudain le narrateur surgit, droit sorti du dix-neuvième, et de manière si évidente, cependant, qu’il ne pouvait pas ne pas en être conscient, et qu’il ne voyait donc là rien de contradictoire. Que cette intervention ne le choquait en rien. De son propre aveu, “la Vérité n’est pas la condition de l’Art”[6]. C’est peut-être pour ça : il ne rassemble pas les visions pour qu’on en tire une seule, il les donne toutes, la sienne avec les autres, et que le lecteur débrouille ce kaléidoscope.

Notes

[1] Celui que je connais, veux-je dire : l’auteur de l’Éducation sentimentale.

[2] Je regrette un peu que nos soirées ne soient pas ainsi peuplés de gens brisant les verres pour ponctuer leur discours.

[3] Deuxième partie, chapitre 2, lorsque Moreau, enfin riche, accueille ses “amis” dans sa nouvelle demeure.

[4] Comme je vous disais. Notez au passage comme il est dur à suivre, avec cette manie de l’indirect et son périlleux maniement des pronoms, qui font tout son charme : on ne sait trop s’il parle là d’Arnoux ou de Moreau.

[5] Un peu plus bas.

[6] Dans une lettre aux Goncourt.

Naissance de la tragédie

Samedi : quartier libre. Nous n’avions d’imposé que le trajet jusqu’à Catane, dont la visite ne m’inspirait trop rien. Aussi ne précipitâmes-nous pas les choses, et prîmes le temps tôt matin de visiter le théâtre gréco-romain de Taormine, conque fossile creusée dans la plus belle partie de la falaise, avec vue sur la mer, et Catane au loin dominée par La Montagne au blanc sommet, dont une brèche artiste creusée par le temps[1] dans l’enceinte du théâtre laisse entrevoir la silhouette où qu’on s’asseye. Magie des lieux, encore, toujours, tout juste tempérée par une affluence digne de la Villa di Casale.

Taormine, toutefois, malgré ses charmes, n’est sans doute guère qu’un Saint-Tropez sicilien, parfois vulgaire, et franchement propret[2]. Comme de plus le corso Umberto I n’avait plus de secret pour nous, après un bref détour par Santa Catarina, sa curieuse vierge à l’épée et le petit Odéon miraculeux retrouvé lors de récentes rénovations, nous nous envolâmes vers le Castillo Saraceno, visible tout au-dessus, dominant la baie. Malheureusement, impossible de l’atteindre : ses portes sont fermées. Tant pis. Nous n’y aurions trouvé à mon avis que trois cours successives, à la façon du castillo d’Enna, et nous fûmes consolés par la présence improbable (pour nous, je suis sûr que les gens du coin s’attendent à la trouver là) de la Madonna della rocca, une église troglodytique, ou même pas : une grotte aménagée (avec goût) en charmante petite église, surplombant la piazza duomo et sa fontaine de la centaurine[3].

Ne restait plus qu’à descendre vers la mer, pour un gelato bien mérité, qui se transforma en agréable repas à Naxos-Giardini, les pieds dans l’eau ou presque. L’hécatombe de poulpes se poursuit. J’espère que nous n’aurons pas asséché toutes les réserves de l’île, il serait malheureux que ces délicieux céphalopodes ne soient plus présents pour notre prochaine visite.

À Catane, nous tombons précisément sur ce que nous voulions éviter et savions y trouver : une ville salle, pauvre, dure et dangereuse, ou du moins qui en donne l’impression. Nous en fûmes réduits à chercher le quartier bourgeois pour cesser de se sentir observés (c’était peut-être paranoïa de notre part ; il n’empêche, c’est tout à fait de nature à vous gâcher la balade). Deux ou trois heures, quand même, à errer à travers ville, en particulier sur ce marché vanté par tous les guides et dont notre seul souhait était de nous extirper. Je soupçonne fortement les rédacteurs-voyagistes de se sentir obligés de trouver cela formidable, parce que c’est un marché, parce que c’est populo, parce que c’est cool, les marchés populos, quand bien même rien ne s’y vend qu’on trouve dans tous les quartiers délabrés de toutes les grandes villes du monde, cochonneries en plastiques, sous-marques contrefaites, textiles synthétiques, et qu’eux-mêmes, ses grands reporters ouverts d’esprit, n’avaient rigoureusement rien à y faire que de s’encanailler à bon compte.

À mi-parcours, nous atteignîmes la place de l’éléphant de lave, gardien du duomo, où nous pûmes rentrer, le plus discrètement possible, malgré l’office en cours. La tombe de Bellini (que nous avions correctement identifié quelques minutes plus tôt piazza Stesicoro), et la momie du cardinal Dubest (que nous croiserons quelques minutes plus tard, à un endroit perdu pour ma mémoire), nous y attendaient. Un peu plus loin, nous rations le palazzo Biscari (une jolie choucroute dans les tons gris), attrapions du coin de l’œil le castillo Ursino, la via Crociferi et rentrions par la via Etnea, extrêmement fréquentée à cette heure. Dîner goûteux à l’hôtel, et courte nuit passée principalement à chasser les moustiques.

Lever sept heures. Préparatifs. Solide petit-déjeuner. Trajet sans encombre. Arrivée deux heures en avance, comme de bons voyageurs bien disciplinés. Nos amis espagnols, en revanche, ont bien failli rater leur avion, prévu pour décoller cinq minutes avant le nôtre. Retour à Paris.

Notes

[1] Premier ministre de la Providence au gouvernement de ce monde, disait de Maistre. Il aurait mieux fait de lui accorder la culture.

[2] Tempérons, tempérons : il y a de très belles pièces, et on s’y sent très bien. C’est simplement que l’ensemble est trop visité pour rester honnête. Pour preuve : ses restaurants. Mais, particularité notable, à mettre à son crédit : le Moyen Âge, dont je déplorais la trop faible présence, est plus présent ici que partout ailleurs dans l’île. C’est ainsi qu’en cherchant bien, ou même pas tellement bien, il est possible de se laisser toucher par la grâce du gothique arabo-normand : la petite cour intérieure du palazzo Corvaja, datée du XIe, est une pure merveille (elle abrite maintenant un musée des arts populaires), et la façade du palazzo Duchi di Santo Stefano, plus tardif (XIVe-XVe), n’a presque rien à lui envier : lancettes gémellaires autant que trilobées, décorations en damier de céramique, colonnes élancées ; tout juste a-t-il échangé cette belle robustesse contre beaucoup d’élégance.

[3] Emblème de la ville. Elle est mignonne comme tout.

Un peu plus près des étoiles

L’Etna, au somment duquel soufflait un vent terrible, mythologique. Nous aurions dû nous y attendre : le refuge est tout de même à 2000 mètres. Or, sous la promesse du soleil radieux qui nous empêcha presque de profiter de notre terrasse hors de prix au petit-déjeuner, nous nous étions consciencieusement sous-équipés. La balade fut plutôt courte, en conséquence, mais très impressionnante malgré tout. Les coulées de lave se lisent sur les flancs durant toute la montée, de manière parfaitement évidente : la pierre, noire et nue, y paraît labourée par la charrue des géants. On comprend mieux les hypothèse des Grecs : forge d’Héphaïstos, demeure de Typhon (et mon guide me rappelle que les cyclopes s’en servirent de promontoire pour bombarder Ulysse). Il faut au moins ça, en effet.

En haut, quelques cratères récents sont visibles, que l’on peut circonvenir à pieds, faute de pouvoir se lancer dans une randonnée plus ambitieuse que nos maigres connaissances géologiques n’auraient peut-être pas su de toute façon rendre plus intéressantes que ce que nous avions déjà sous les yeux : le panorama, l’environnement sont certes superbe, mais ce dernier surtout reste remarquablement semblable à lui-même sur tout le versant. Une centaine de mètres de dénivelé supplémentaires ne nous les auraient pas beaucoup changés (tout en nous coûtant 30 euros par tête, prix du téléphérique, obligatoire pour aller plus haut[1]).

Ce sentiment gratuit, tout de même, de se tenir là où naquirent les légendes…

Légendes qu’on retrouve sculptées en “pierre de lave”, avec le meilleur goût comme on imagine, dans toutes les nombreuses échoppes présentes[2].

De retour à Taormina, nous profitâmes de la ville en plein après-midi, pour d’innombrables longueurs du corso Umberto I, qui satisfirent pleinement nos envies de shopping. Je rentrerai fièrement chaussé à l’italienne. Alors que nous nous apprêtions à dîner, nous recroisâmes les Espagnols. Nouvelle soirée charmante en leur compagnie, à laquelle vint s’adjoindre tardivement un Syracusain. De son visage, toute joie de vivre s’était enfuie. Nous étions quatre vacanciers tout à la joie du voyage et des rencontres impromptues, il était, lui, pâle comme la mort.

Notes

[1] Nous avons observé les comiques glissades de ceux qui voulaient l’éviter ; ils n’allèrent pas bien loin.

[2] Encore accordè-je bien du crédit à ces marchands du temple, puisque vous chercherez en vain Vulcain, ou même un Cyclope (pourtant bien plus statugénique que le Dieu boiteux). Ce ne seront que dauphins, chats mignons et David aux poils pubiens argentés.

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