J’aimerais parler un peu de donj’, Donjons & Dragons, vous savez ? Ce jeu étrange et méconnu, récemment remis au goût du jour entre autres par Stranger Things, où l’on incarne des personnages archétypaux des récits de fantaisie héroïque qui partent à l’aventure en quête de gloire et de mondes à sauver. Par contre, après cette présentation très visiblement destinée à ceux qui ne voient pas du tout de quoi je parle, je vais plutôt si vous le voulez bien m’adresser à ceux qui voient tout à fait : les rôlistes, qui connaissent déjà beaucoup ce jeu-là, au moins de nom. Pas tellement aux autres, qui m’en excuseront, je l’espère. Qu’ils gardent cette introduction en gage de ma bonne volonté, et pardon pour le reste.

Donj’ est un jeu, je ne vous apprends rien j’imagine, qui est régulièrement snobé dans la rôlosphère. D’un côté, il le mérite bien. C’est l’incontestable “leader du marché”, expression qui suffit à elle seule à indiquer combien c’est moche de l’être. Il peut donc prendre tous les coups qu’on voudra, même les moins mérités, ce n’est pas bien grave, il s’en remettra très bien, c’est même sain la plupart du temps et puis qu’est-ce que ça peut faire de dire du mal d’un jeu ? Pas grand-chose, en vérité. Par ailleurs, il mérite de nombreuses critiques, ce n’est pas du tout un jeu pour tout le monde, ni qui peut tout faire, non, au contraire : il est très opinionated, comme disent nos amis les Anglais. Il sait très bien ce qu’il veut, et si on ne veut pas la même chose que lui, forcément, on ne va pas y arriver.

Mais, d’un autre côté, la plupart des critiques que je lis à son endroit sont très à côté de la plaque, et parfois ça m’énerve. Je ne vais pas en dresser la liste complète, cependant, même si ça m’énerve. Ici, seule une m’intéresse, qui pourrait se résumer ainsi : D&D, c’est un jeu pour les enfants. Pas vraiment un jeu sérieux, quoi. Loin des hauteurs qu’atteignent les Terres du Milieu ou Glorantha la glorieuse, loin du souffle épique et brutal, d’une maturité certaine, des récits de Jack Vance, de Robert Howard ou de Michael Moorcock. Cette critique prend ainsi parfois cette autre forme : “D&D, c’est pas ma fantasy, c’est du pousse-pions, du PMT, du wargame si on veut, ça raconte pas d’histoire, c’est seulement de la nostalgie et à peine du jeu de rôle”.

Or, moi, si on me dit “j’ai joué une fois à donj’, c’était du pousse-pion en PMT atrocement chiant”, je réponds sans problème que, “oui, certains jouent comme ça, ça peut se joeur comme ça, comme une sorte de Hero Quest, de jeu de plateau mal fichu ; mais c’est loin d’être ce que le jeu préconise, ce qu’il pousse à faire. Il n’est même pas vraiment fait pour ça, en vrai, en tout cas plus du tout aujourd’hui”. Jusque-là, pas de problème, surtout si d’emblée on reconnait ensuite que, oui, peut-être que cette expérience désastreuse ne se transpose pas telle quelle à toutes les parties de donj’, tout le temps, peut-être que cette image d’une partie de donj’ est un peu passée de mode. Donj n’est pas un jeu finaud, je suis le premier à le reconnaître. C’est un jeu où qu’y a de la bagarre — même si pas tout à fait que. Et si on me dit alors, “moi j’aime les trucs plus sophistiqués, le drame interpersonnel, ce genre de choses”, je réponds : “super ! moi aussi j’aime beaucoup ça, on peut jouer plutôt à ça si tu veux, ça m’ira très bien”. Encore une fois : pas de problème. Le jeu de rôle est vaste et varié. Jouons tous à ce qu’on aime.

Moi, ce que j’aime, dans donj’, c’est l’aventure.

Car Donj’ est fondamentalement un jeu d’aventures avant tout, avant même d’être un jeu de rôle, et l’aventure, oui, c’est pour les enfants. Les enfants dans mon genre ou les vrais enfants, ça marche dans les deux cas, et c’est d’ailleurs une autre grosse, énorme raison pour laquelle je l’aime : je peux y jouer avec mes enfants, sans problème, tac tac, tout le monde s’éclate, sur le même ton, sur un parfait pied d’égalité. C’est l’aventure et j’adore ça. Et je ne veux pas dire par là que ça me replonge en enfance ou quoi, non non : c’est un truc que j’adore depuis l’enfance, sans que ça ait terriblement varié, en vérité. Un truc de gosse, quoi, qui ne m’a jamais vraiment quitté. Comme aimer Indiana Jones ou Star Wars, qui sont d’ailleurs absolument dans la même catégorie : aventures et trucs de gosse. Et c’est super les trucs de gosse ! Ils savent bien s’amuser eux, je peux vous dire, aucune doute là-dessus. Donc quand je lis que donj, c’est pour les enfants, je réponds toujours, “ah mais oui, carrément !”. Et j’attends la suite.

Le plus souvent, la suite, c’est malheureusement : “ouais non donj’ c’est poru les gosses, moi ce que j’aime c’est [d’autres jeux d’aventure], ça c’est du sérieux”. Et là je bloque. Je me dis in petto (parce que je suis un enfant et qu’in petto ça me fait toujours rire)… mais c’est aussi pour les enfants, son truc, non ? Bon d’accord il a rajouté une règle qui permet de couper des membres ou qui facilite les comportements de connard pervers, si bien que c’est un truc pour enfants auquel on ne pourra pas jouer avec des enfants, mais c’est un truc pour enfant quand même. C’est un truc où qu’y de la bagarre et des périls mortels, des gros méchants et des sauts au-dessus du vide pour atteindre l’autre côté du ravin avec des pics au fond, en fait. Chelou, non ?

Pas tellement. Ce qui gêne dans donj’, dans ce cas, ce n’est pas l’aventure. L’aventure, les gens aiment souvent ça, du moins ceux qui disent “je préfère [cet autre jeu d’aventure]”. Non, ce qui gêne, c’est pas que ce soit un jeu d’enfants, en fait. Celui qui émet cette critique aime autant que moi les trucs de gosse, les épopées héroïques, les victoires sur le fil, les dangers surmontés et les moment marrants. Le truc, c’est seulement qu’il a envie de se sentir plus grand. Il aime les trucs pour enfants, oui, ce qui est très bien, mais il en a un peu honte, ce qui est en revanche un peu ridicule, surtout passé un certain âge. Il voudrait que ses choix esthétiques le grandissent. Il est snob, quoi. C’est un enfant snob qu’aime pas qu’on pense que c’est un enfant.

Moi, j’ai beau être un snob indécrottable sur tout un tas de chose, sur ça, je ne le suis pas du tout. Je n’ai pas honte d’aimer l’aventure et Donjons & Dragons, en très grande partie parce que c’est un jeu d’enfant, qui lui non plus n’a pas honte de l’être et même l’assume parfaitement. Donj’ ne se prend pas au sérieux et c’est chouette, c’est sain, c’est rafraîchissant. Et ça n’empêche pas du tout, figurez-vous, d’y vivre des moments profonds, denses, tragiques, magiques, exaltants. Avec ou sans enfant.