Phédon 2.0
Considérer le beau comme une qualité éthérée conférée aux choses indépendamment de ce qu’elles ont de bon, de juste ou de vrai (je ne vous refais pas le Phédon, mais vous me voyez venir avec ma grosse philo je parie), c’est lui ôter tout son sens. Rien n’est beau tout seul, in abstracto. Le beau, ce n’est pas une qualité indépendante qui flotterait dans le ciel des idées comme la rougeur ou la circularité, ce n’est pas un prédicat qui pourrait exister sans sujet. C’est une relation entre une chose perçue et un sujet qui la perçoit. Un dessin brouillon et hésitant sans qualité technique particulière peut être magnifique tandis qu’une peinture photoréaliste sera parfaitement laide, terne, sans saveur, sans beauté, du moment que l’un a du sens et l’autre pas. C’est même fréquent, dans le cas du photoréalisme, parce que quand on copie tout, on ne fait aucun choix, on ne prend aucun angle hormis l’angle de vue, qu’on se garde même bien de déformer ou d’exagérer, bref : on n’ajoute rien au réel. On ne dit rien de lui, en particulier, on ne dit pas ce qu’il nous fait, ce qu’il bouge en nous, ce qui nous émeut.
L’IA est encore pire, parce qu’elle n’essaye même pas. Rien ne l’émeut. Rien ne la bouge. Tu veux voir ça ? Voilà. Elle ne pratique aucun art, elle se contente de nous en livrer le produit, sans effort, sans recherche, sans douleur, sans travail. Alors on pourrait se dire, la nature non plus ne pratique aucun art, et pourtant une chute d’eau sous le soleil qui fait des arcs-en-ciel, c’est beau ! Je vous renvoie au paragraphe précédent. C’est pas la chute qu’est belle. C’est ce que produit la chute en vous.
C’est vous.
Et c’est en nous le racontant, nous le dessinant, et c’est en nous le chantant que vous faites de l’art.