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Après une journée infernale, au dénouement impossible, achevée en apothéose par une réunion de copro (et vous savez comme j’aime ça), je suis enfin venu à bout du mois d’avril — du mois d’avril professionnel, s’entend : je ne serai de retour chez D. que le 2 mai, pour les trois derniers mois que je leur accorderai. Et, drôle de changement, par rapport à ses ses dernières années qui filèrent plus vite que je ne l’aurais souhaité : enfin, j’ai hâte. Je voudrais que ces trois mois s’effacent devant moi, qu’ils disparaissent, qu’ils n’existent jamais. Bref.

Me voici dans le train pour Antibes, prêt à passer cinq jours chez Rafou — perspective qui, j’y pense à présent, aurait bien pu me terroriser il y a dix ou quinze ans. « Que me réserve-t-il ? » me serais-je dit à l’époque. Quel traquenard ? Combien d’heures sans sommeil ? De verres à avaler ? De joints à engloutir ? Je l’aurais fait quand même, bien sûr, avec l’instinct de qui, jamais sûr d’en avoir suffisamment soi-même, suit l’énergie vitale d’un autre. Eric M. parlerait peut-être de vampire psychique (de type 2). Je ne suis pas très sûr. Dans le genre vampire, on a fait plus affamé. Je suis un parasite redoutablement discret (ce qui est peut-être redoutable, chez les parasites).

Pour preuve : je m’écrase dès qu’il s’agit de réclamer. Pas plus tard que tout de suite, dans le train donc, j’avais devant moi une jeune mère et sa charmante fille, occupées à regarder Tintin sur un lecteur dvd portable, tout haut-parleur hurlant : cause d’énervement numéro un. Contraint d’abandonner ma lecture (je dé-brode, il y eut en réalité beaucoup plus d’étapes), je ruminais dans mon coin, lâchant mes yeux sur le paysage provençal[1], lorsque la mère, non moins charmante que sa très jeune fille, se retourna vers moi pour me demander, très poliment, si je l’autorisais à baisser le store de la fenêtre, le soleil pâle de ce matin grisâtre ayant décidé de réfugier son sale reflet sur leur précieux écran. Que croyez-vous que je fis,plutôt que de défendre mon droit à exister ? Je lui accordai sans tarder sa faveur.

  • *
  • * *

A côté de moi se tient une gamine, de quatorze ans (je l’ai appris par un curieux concours de circonstances), qui, tout au long de ce trajet de cinq heures, n’aura rien fait d’autre que « penser » — ou peut-être même pas, qu’en sais-je ? Incroyable, même pour moi, habituellement très calme, en tout cas plus que la moyenne dans les trajets de ce genre. Lorsque, au bout de deux heures assidues, j’abandonnai ma lecture pour grattouiller ces mots, j’eus ainsi l’impression de papillonner d’une activité à l’autre comme un garçon de trois ans.

Note

[1] Paysage dont il faudra bien un jour chanter la laideur. Sa beauté ayant été suffisamment célébrée comme ça., la Provence s’en remettra.

La victoire en chantant

Interrogé par un lecteur du Parisien sur le coût de sa mesure en faveur des crèches, M. Mélenchon répondait le 10 mars : “Cela coûte des sous, oui, mais à la fin cela rapporte du bonheur.”[1]

C’est l’argument dont se servent aussi les patrons dans l’industrie culturelle : c’est très mal payé, mais pensez à la chance que vous avez de travailler dans ce milieu !

Je vais de ce pas persuader ma banquière de me laisser rembourser mon prêt pas avec le sourire.

Note

[1] Pour les incrédules, que je comprends tout à fait, c’est ici, et probablement ailleurs aussi, dans Le Parisien par exemple.

Fol espoir

Voyant régulièrement le nom de Jean-Luc Mélenchon estropié en “Mélanchon”, me saisit parfois l’espoir d’une malheureuse confusion, ô combien excusable (j’y suis sujet moi-même, et je m’excuse avec une grande facilité), avec Philippe Mélanchthon. Quelques doutes subsistent, que je balaye hardiment, trop heureux de cet élan renouvelé de mon amour pour l’Humanité[1]. Puis je me souviens qu’une personne sur trois ou quatre parvient, sur Internet du moins, à écorcher Sarkozy en Sarkosi, de manière systématique. Alors, songeant que ce nom s’affiche dans son orthographe correcte à des millions d’occurrences, partout autour de nous, dans les rues, les journaux et les écrans, je me demande : qui peut bien porter si peu d’attention aux faits ? Ou alors, serais-je, moi, abyssal ignorant, passé à côté d’un autre théologien allemand du seizième siècle ? Un certain Sarkhosi ?

Edit : Et paf, ni une ni deux, à l’instant où je publie cette note, je tombe là-dessus : chez koz, commentaire d’hélios du 3 avril 2012 à 19 h 21 min. Merci, mon frère.

Note

[1] Pas le journal.

Lire avec les doigts

Les livres numériques vont se multiplier à la faveur des ventes de tablettes et de liseuses dont le succès ne faiblit pas : 15 millions d’iPad ont été vendus dans le monde rien qu’au dernier trimestre 2011 ; 450 000 tablettes tactiles vendues en France au cours du seul mois de décembre.

Je serais un commentateur sur ce site, je dirais “Bonne analyse !”. Et, comme tous les commentateurs en ligne, qui tous disent “Bonne analyse !”[1], je me planterais du tout au tout. En vérité je vous le dis, ces éloquents chiffres de vente de tablettes sont le contraire d’une bonne nouvelle pour le livre numérique[2]. Ils sont en réalité le signe indubitable[3] de l’appétit du public pour la technologie de la tablette, à des années-lumière des archaïques liseuses, et donc, en creux, des activités qui se développeront sur ces outils, et qui seront pleines de couleur, d’animations, d’interactivité, bref, calquées sur le web, et certainement pas sur Dostoïevski.

Notes

[1] L’aviez-vous remarqué ? “Bonne analyse” et ces innombrables variantes laudatrices sont sur les blogs les commentaires les plus fréquents, à la faveur desquels on apprend soudain que l’objectif de ces journaux en ligne serait donc d’analyser. J’aurais quant à moi juré qu’il s’agissait de répéter.

[2] Qui voudrait lire du texte au kilomètre en noir et blanc sur un iPad ?

[3] Comme souvent sont les signes.

Écho

Il était très bon comme amateur, mais il n’avait ni l’envie ni le goût d’y consacrer sa vie.

Haruki Murakami, 1Q84, livre 2, Belfond, 2011.

Or something to that effect, je n’ai pas le texte sous les yeux.

Le Choix de Sophie

Poursuivons…

Un reproche récurrent, et souvent rédhibitoire, adressé aux liseuses de livres numériques est l’absence de couleur. Deux enseignements :

1. Le public est déçu du niveau technologique du livre numérique, peu ou prou équivalent à un site web en noir et blanc publié aux grandes heures d’AOL et ses CD d’installation[1]. Le public, ce héros, a maintenant l’habitude, en matière de fantaisie moderne, de bidules en couleur, animés et bruyants. De fait, le livre numérique n’est, pour l’instant, qu’un parent pauvre du web. Un epub est une version amoindrie de site 1.0. Or, l’attente du public, en la matière, comme la vérité, est ailleurs. Après tout, pas un auteur de science-fiction n’imagina jamais coller dans la pattes de ses astronautes de protagonistes un machin grisâtre qui leur aurait permis d’éconmiser 800 grammes de bagages pour emmener l’intégrale de Proust[2] sur Proxima du Centaure. Non, le fantasme de la science-fiction, c’est l’iPad[3] : la tablette tactile en couleurs qui donne accès à tout un tas d’informations pratiques ; autrement dit, un petit ordinateur maniable, tactile, avec accès au web. Ce qui nous amène à notre deuxième point :

2. Le public n’a pas grand besoin, pour lire, d’autre chose que d’un livre. Ce qui l’intéresse, dans les liseuses, est ce qui va au-delà du livre[4] : le film, le jeu, le web. Sinon, pourquoi se plaindrait-il de l’absence de couleur ? Parce qu’il a toujours rêvé lire Dostoïevski sur un fond vert pomme[5] ? Parce que Zweig, sans la couleur, on y perd quand même beaucoup ? Bien sûr, traîne également l’hypothèse que la littérature est dépassée par le numérique, que de nouvelles formes de narration, voire de narrativité, allons-y gaiement, vont la transformer en profondeur. Permettez-moi d’en douter[6]. Ces nouvelles formes existent depuis des années sur nos écrans de télévision, de cinéma, d’ordinateur. Et tout le monde s’accorde à dire que ce n’est pas, à proprement parler, de la littérature[7]. Alors, pourquoi, sous prétexte que le médium changerait et s’appellerait “liseuse”, plutôt qu’ordinateur, en irait-il autrement maintenant ? Les gens ne veulent pas lire. Ils veulent se distraire, passer le temps, au moyen de gadgets rigolos. Comme l’Inspecteur du même nom.

Pendant ce temps-là, Charlie réinvente l’imprimante. Dans son bain cette fois-ci.

Notes

[1] Notons, en passant, qu’il est même bien inférieur à la technologie toute mécanique d’un bel ouvrage en quadrichromie. Les quelques fonctionnalités gadget qu’il promet, comme la table des matières “cliquable”, ne sont là que pour contrebalancer les défauts du numérique (allez-y, feuilletez un epub, qu’on rigole).

[2] Non, pas même Dan Simmons.

[3] Voir à ce propos le “Livre-ordinateur de Sophie” in Inspecteur gadget, ep. 1 à 86, DIC, 1983.

[4] Ou en deçà, là n’est pas le problème.

[5] Je déconne, les liseuses ne savent pas gérer les fonds.

[6] Sans attendre votre permission, j’en doute déjà : ici et . Et un peu aussi.

[7] Note de la notule : les exceptions sont légion. À commencer par les Vaisseaux Brûlés. Notez, cependant, que le web est déjà parfaitement équipé pour les naviguer, qu’ils ont même, de leur côté, un petit parfum d’antiquité statique.

Littérature et sous-vêtements

Lu ici :

[Reif Larsen] imagine ensuite les territoires littéraires que les livres électroniques pourraient explorer le jour où ils sortiront de leur coquille. Un livre électronique innovant pourrait faire exploser les frontières de la page. Des images pourraient apparaître telles des fantômes derrière les mots, ou flotter au-dessus d’eux. A la place d’une couverture, on pourrait avoir une sorte de bande-annonce multimédia. Le texte pourrait être avantageusement complété par des éléments multimédias comme de la voix, de la musique, de la vidéo et même par quelques scènes osées qui auraient été supprimées, par différentes possibilités laissées au lecteur dans le récit ou des critiques faites en temps réel sur Twitter.

Et vroum, vroum ! faisait la mobylette. Tout y est, même Twitter dans le rôle du serveur pour le jeu en ligne. Il ne manque plus guère que les DLC, mais j’ai bon espoir ; ainsi un roman en trois tomes ne sera bientôt plus une trilogie, mais un jeu et ses deux extensions.

Finalement, rien d’étonnant à ce que la littérature de gare règne sur l’édition numérique : ce sont d’abord ses besoins qui se voient comblés par le nouveau médium. Car quoi de mieux qu’un slip en fourrure ? Mais ! Un slip en fourrure qui parle, voyons !

En vérité je vous le dis

Cette puissance, cette espèce d’hommes, je veux l’appeler par son nom — je veux parler des philistins cultivés.

Le mot philistin est emprunté, comme chacun sait, au langage des étudiants. Il désigne, dans son acception la plus étendue, bien que dans un sens tout à fait populaire, le contraire du fils des muses, de l’artiste, de l’homme de haute culture. Le « philistin cultivé », dont nous nous sommes imposé la tâche peu agréable d’étudier ici le type et d’écouter les confessions, se distingue cependant de l’espèce commune du« philistin » par une superstition : il croit être lui-même fils des muses et homme cultivé. C’est là une illusion qui parait inconcevable, et il faut en déduire qu’il n’a pas la moindre idée de ce qu’est le philistin et le contraire du philistin. Nous ne nous étonnerons donc pas si, la plupart du temps, il jure ses grands dieux qu’il n’est pas un philistin. Dépourvu de tout espèce de conscience de lui-même, il vit dans la ferme conviction que sa culture à lui est le type accompli de la vraie culture allemande. Et comme il trouve partout des gens cultivés pareils à lui, et que toutes les institutions scolaires, pédagogiques et artistiques, sont en rapport avec son degré de culture et avec ses besoins, il porte aussi partout avec lui la conviction triomphante qu’il est le digne représentant de la culture allemande actuelle, et il formule, en conséquence, ses prétentions et ses exigences. Or, si la vraie culture suppose en tous les cas l’unité du style, et lors même qu’une culture mauvaise et de décadence ne saurait aller sans une fusion de la variété de toutes les formes dans l’harmonie d’un style unique, on induira de là que la confusion qui s’est produite dans l’imagination du philistin cultivé tire son origine de ce fait que, rencontrant partout des répliques de lui-même, frappées au même coin que lui, celui-ci conclut de cette uniformité de tous les « gens cultivés », à une unité de style de l’éducation allemande, en un mot, à une culture. Autour de lui il constate partout les mêmes besoins, les mêmes opinions ; partout où il va, il trouve établi un régime de conventions tacites sur une foule de sujets, en particulier sur tout ce qui concerne la religion et l’art : cette imposante similitude, ce tutti unisono qui, sans qu’il soit besoin d’un ordre, éclate aussitôt de lui-même, le conduit à croire que cet accord est l’effet d’une « culture ». Mais le philistinisme systématique et triomphant, s’il n’est pas sans logique, ne constitue pas, de ce fait, une culture, même mauvaise ; il est au contraire l’opposé d’une culture, je veux dire une barbarie solidement établie.

Friedrich Nietzsche, “David Strauss, sectateur et écrivain” in Première considération inactuelle, 1873. Trad. Henri Albert (big up).

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