Du lien qu’il y a, s’il vous plaît, entre lecture numérique et littérature de gare ? Les deux me paraissent fortement corrélées, pour des raisons fuligineuses.

Les faits : côté numérique, il n’y a que ça qui marche. La fantasy vient d’allonger encore sa durée de vie. Le canard est toujours vivant, le slip en fourrure aussi. L’eau de rose se déverse par gigaoctets. Le thriller psychologique[1] terrorise les écrans par milliers. (Vous remarquerez au passage que, si le terme “littérature de gare” vous paraît trop puer son snob, vous pourrez le remplacer avantageusement par “littérature de genre”, comme disent les gens polis.)

Comprenez-moi bien, je n’ai rien contre la littérature de gare, j’en suis moi-même grand consommateur, quoique un peu repenti[2]. C’est avant tout une question de lucidité, ici. J’ai simplement peur qu’on en vienne à vénérer des erreurs d’adolescence comme Moorcock ou Lovecraft, qu’on les élève à des hauteurs faulkneriennes, sous prétexte que les bidouilleurs numériques actuels nous en abreuvent. Alors, bon, c’est geek, je veux bien, la preuve, j’ai tout lu de Lovecraft et de Moorcock, du coup c’est “in”, c’est rigolo, c’est l’air du temps[3]. Mais, call me elitist, je n’y vois pas un très bon signe pour le développement de la littérature.

Enfin, silver lining : les classiques s’arrachent, probablement[4] du fait de leur gratuité. Reste à savoir s’ils sont lus. Mais j’ai bon espoir. Un Moorcock perdu, dix Balzac retrouvés. Le XIXe siècle est le nouveau XXIe.

Notes

[1] On appelle “psychologique” tout thriller dans lequel l’angoisse ressentie est avant tout psychologique, sans doute par opposition aux thrillers “d’actions” dans lesquels l’angoisse ressentie serait avant tout météorologique.

[2] Maintenant, si vous voulez me coller un truc de gare entre les pattes, il faut y aller franchement, dans le ferroviaire qui s’assume : super-héros ou rien.

[3] C’est donc passager, rassurons-nous.

[4] Et quand je dis probablement…