Pourquoi ces assemblées sont-elles toujours aussi étranges ? Les psychologies s’y révèlent bien plus qu’au travail. Ainsi Madame L., dirigiste, perfectionniste, suprêmement versée dans l’art de la pinaille, assure que cette copropriété est très accueillante et même solidaire, formidable en un mot, lorsque les copropriétaires participent comme ils le doivent (je souligne, elle capitalise plutôt). Évidemment, quoi que vous fassiez, ce ne sera pas assez. Il faudrait passer sa vie à cela, et chacun a sa vie, même elle. Elle a réussi à me reprocher, à mots voilés, de ne pas être retourné la voir après qu’elle avait fait l’effort de descendre m’expliquer le fonctionnement labyrinthique mis en place par les précédents habitants de la demeure. Elle était tombée sur Élise, à qui elle aurait très bien pu tout expliquer. Seulement voilà, la raison de sa visite était tout autre: un peu plus tard, elle glissait un mot sous la porte me priant de dégager les gravats qu’avait laissés Monsieur Labbé. Il me paraissait tout à fait évident que nous tenions là le but réel de la visite précédente. Je n’avais pas tort, à mon humble avis. Je m’étais toutefois exécuté, sans prendre la peine de remonter la voir[1].

Il y a aussi madame X., qui habite le petit pavillon de gauche dans la cour, très effacée, et ne s’intéressant qu’au montant des dépenses et votant pourvu qu’il ne lui coûte. Ou cette grosse dame voilée (très), parlant un français approximatif et tutoyant tout le monde, alors que tout le monde la vouvoie et lui montre le plus grand respect (un respect au carré, le respect de qui ne respecte pas au fond, et donc redouble de respect en surface). Cliché ambulant (quoique, nous ne la voyons pas souvent dehors). Elle est si effrayée des travaux qu’elle préfère vendre. Gabriel V., du pavillon de droite, est le plus normal de tous, avec ses incessants clins d’œil et ses façons désinvoltes. Quant à la gestionnaire du syndic, ce n’est plus une femme, c’est une catégorie. Une marocaine (?) hystérique, hurleuse, sans aucune patience pour qui ne maîtrise pas sur le bout des doigts les arcanes des règlements et la plus fine tuyauterie des plombiers. Si elle daigne répondre aux questions, c’est en regrettant à chaque fois que son interlocuteur soit si bête, ou si peu versé dans son domaine professionnel à elle (qui nous paraît pourtant fort peu palpitant, pour tout dire). “Comment ça vous ne comprenez pas le décompte sur quatre colonnes, plus, moins, précompte, quote-part proratisé ? C’est pourtant simple enfin ! Dédit, crédit, pouf pouf : quatre cent soixante-treize euros !”

Note

[1] Si je voulais me vêtir de mon manteau de moraline, je pourrais ici préciser qu’il s’agissait presque de ne pas l’embarrasser, de ne pas rendre évident son petit manège, de faire “comme si” tout cela n’était que désintéressement pur de sa part.