Je suis allé deux fois au cinéma ces derniers temps, un petit exploit à mon échelle. Je n’aurais pas pu mieux tomber, le contraste entre les deux films était saisissant.

La première fut pour Ozon, Dans la maison, une sympathique tentative d’expliquer au monde que jamais le cinéma n’arrivera à la cheville de la littérature, film pas désagréable et même plutôt plaisant, car humble après tout, et parce que Fabrice Luchini et Kristin Scott Thomas. De plus, je ne pouvais qu’être d’accord. Le cinéma est une peccadille, un art tout à fait mineur, et voilà tout.

Et puis Haneke, qui fut tout le contraire. Amour est prodigieux et s’élève à d’effrayantes hauteurs, que j’aurais bien du mal à décrire. La beauté des plans, bien sûr ; la justesse. Mais avant tout, la force de son cinéma consiste très exactement en ce qui fait défaut dans la littérature : la musique et le silence.

Au cinéma, rien de plus facile que d’incorporer le grand art, la musique, l’art des cimes par excellence, quand on applaudirait des deux mains l’écrivain qui, à force de labeur et de talent, parviendrait péniblement à en dire quelque chose et la ramener sur terre. C’est que le cinéma est né du silence, ce cousin de la musique, quand la littérature, elle, est issue de son exact contraire. La littérature est bavarde.

Haneke ne se prive même pas d’une curieuse séquence de plans fixes et muets sur d’assez jolis tableaux, comme pour nous signaler qu’en cela aussi, le cinéaste dispose de meilleures armes que le romancier, de meilleurs moyens d’arriver à ses fins. Dans le jeu des acteurs également, nous sentons quelque chose : le romancier, surtout le mauvais, enseveli ses personnages sous le poids de ses propres choix, quand le cinéaste leur laisse la bride au cou, juste ce qu’il faut, un regard, une attitude, une façon de s’appuyer sur la table avec les phalanges plutôt qu’avec les doigts, afin que nous les sentions vivre.

La musique est de Schubert en majeure partie. C’est décidément le seul compositeur à m’arracher des larmes.