Poursuivons. Voilà une piste intéressante : l'absence de sentiment religieux pourrait, chez certains[1], entraîner l'absence de sentiment tout court.

Plongeant dans mon histoire, ai-je été différent ? Je ne crois pas. Bien sûr, je ressentais enfant des joies plus vives que maintenant, mais la joie n'est pas un sentiment, c'est davantage un état, une excitation, et l'excitation n'est pas rare chez moi. Mais je ne crois pas avoir jamais ressenti le sentiment du beau. Du vrai, peut-être[2]. En revanche je ressentais au plus haut point, et ressens toujours d'ailleurs, l'injustice, ce qui fait de moi un être compatissant. Le sentiment chez les autres m'est plus évident, je le vois mieux, le discerne, le ''ressens"", même. Lorsque j'aperçois une blessure, ou même, ne ferais-je qu'entendre en évoquer une de manière suffisamment détaillée, je tressaille[3]. La pitié me saisit aussi facilement que cela. Le terrain serait bon pour la religion.

Vibrer pour une église serait sans doute possible. Mais faute de foi, ce ne serait que mensonge. Et je pense que Dieu n'aime pas qu'on se paye sa fiole.

Notes

[1] Car nous n'excluons pas d'autres grands sensibles qui n'auraient pas besoin de ça.

[2] Sûrement, si l'on prend en compte mon évolution « scientifique » (le mot est un peu usurpé).

[3] C'est sans doute très banal. Mon père s'évanouit à la vue du sang et n'est certainement pas le seul dans ce cas.