Un temps j’espérais trouver chez les réactionnaires du web une pensée critique, ou même une pensée en mouvement. Mais non. Certains, tous peut-être, sont persuadés d’être libérés du carcan de la pensée unique. Ils ne le sont que de la pensée majoritaire, et encore, pas sur tous les fronts. Ils sont pris au piège du raisonnement inverse. Renaud Camus a au moins ça pour lui : ce qui le gêne dans la pensée unique n’est pas qu’elle serait fausse, mais qu’elle serait trop vraie, qu’elle pêcherait par excès de vérité. C’est ce qui la rend englobante, absolue, totalitaire : en un mot, unique.

Loin de ramener de la nuance dans le champs de ruines, les réactionnaires du web s’attachent à construire leur propre pensée unique à côté de la précédente. Parmi eux les tièdes sont ridiculisés, les dissidences sévèrement punies. La ligne est contre, mais la pente est droite[1]. Bien sûr, on se félicite d’être plus cultivé que le voisin, ce qui est généralement vrai. Mais on s’accorde ce monopole un peu trop rapidement, et puis on s’en targue, on s’en brasse, on s’en émeut. Et on s’en félicite. On se distribue des palmes. On s’applaudit chaudement. Problème : à bien y regarder, question culture, on reste des nains. Et, pour le coup, des nains très ressemblants.

C’est ainsi qu’on trouve, sur l’auto-proclamée réacosphère, le même texte répété à l’infini, à quelques heureuses exceptions près (qui ont toujours pour caractéristique première l’humilité, soit dit pour rattraper les wagons du billet de la veille), où les mêmes récriminations prévisibles s’attaquent aux mêmes sujets, et usent pour ce faire des mêmes références, utilisées de la même façon dans les mêmes contextes. Muray par exemple, qui ne méritait vraiment pas ça, se voit régulièrement convié, soit pour son “envie de pénal”, quand il s’agit de pester sur la judiciarisation du monde, soit par son festivus, quand l’auteur mal-pensant s’attaque aux plumes dans le cul, ennemi particulièrement redoutable contre lequel il pourra exercer son rare courage.

Un procédé fréquent est commun à l’autre camp : construire son ennemi. Rien de tel qu’un adversaire servile, qui se fera le plaisir d’être détestable. Le dialogue imaginaire, genre tombé en désuétude pour une très bonne raison[2], du moins le croyait-on, revient en force, à la faveur des talents littéraires qu’on se prête ici ou là. C’est souvent plus subtil, et heureusement exempt de tout dialogue, mais le résultat est identique : en fait de géants, combattre des moulins, et se glorifier de les voir tourner en bourrique.

Je m’attends toujours, lorsque je tombe sur un de ces textes, à ce que quelques-unes des belles plumes et des esprits vifs que compte ce groupement l’étrillent en commentaire, se montrent pointilleux, exigent de la rigueur et hissent le pavillon de la raison souveraine. Loin de là : on laude, comme ailleurs. Aux grossiers montages photos, aux fieffés mensonges et aux raisonnements circulaires, nul ne trouve à redire, hormis les guignols d’en face, les rares qui s’aventurent en ces contrées inhospitalières où les autochtones les accueillent exactement de la même façon que si la situation était renversée. À se demander si l’idéal ne serait pas un réactionnaire plaidant pour l’islamisation de la France, ou une progressiste retirée au couvent.

Condition de la liberté : penser contre son camp.

Notes

[1] Si on m'avait dit, un jour, que je citerais du Jean-Pierre Raffarin, ou pas loin.

[2] On sait depuis Platon que c'est pénible à lire, niais, artificiel, et aussi éloigné de la vérité que pourrait l'être un univers où au-dessus d'une caverne transformée en salle de cinéma de quartier flotterait une sphère d'idées abstraites et toujours égales à elles-mêmes.