Tribunal — Session 0
Islayre souhaitait monter une campagne à l’ancienne par “soustraction pure”, sans rien changer au corpus de règle, seulement en réduisant ses possibilités : un seul non-humain dans l’équipe, et guerrier-voleur-magicien-clerc pour les classes et c’est tout. Il compte aussi, nous a-t-il dit, être un peu tatillon sur le matériel et le réalisme. Je prévoyais donc que les activités principales consisteraient à vêtir et ôter des armures, encorder des arcs et charger des mules. Je n’étais pas loin de la réalité (et c’était vraiment chouette). Il nous a autrement laissé le champ libre pour les persos, nous présentant en amont et en quelques lignes le monde dans lequel ils évolueraient. Un monde par soustraction, encore une fois. Un plan primaire aux lointains échos doubles, un monde d’En-bas. Un pays semblable à l’Europe féodale, où régnait autrefois un empire et son culte du serpent. L’empire s’est effondré laissant place à des baronnies émiettées, tandis qu’une religion nouvelle se propage depuis le royaume nain : le Tribunal, dieu tripartite. Seuls les clercs du Tribunal sont capables de miracle, ce qui nous donne un monothéisme de fait, en quelque sorte, et en pleine expansion. Voilà pour le monde.
J’ai choisi là-dedans d’incarner Jeanne de la Forge. Jeanne est la fille d’un forgeron veuf, qui lui a appris son rude métier, pour lequel elle a toujours eu d’étranges facilités. Forger des armes lui venait naturellement. Enfant très pieuse, elle passait ses rares journées libres au monastère autour duquel son village était né. Quand sont venus les temps du trouble, elle s’est engagée dans la milice mais, trop frêle et trop jeune, on ne lui y a accordé que la place de cantinière. C’est là qu’elle a appris à soigner les plaies les plus vicieuses. Puis est venue la Révélation. Une horde déchaînée a fondu sur le village, mettant la milice en déroute. Les villageois réfugiés au monastère croyaient venu leur dernier jour. C’est alors que le bruit de la forge a retenti. Jeanne y forgeait son épée et son armure. Le jour d’après, à la tête des villageois armés au petit bonheur, elle repoussait la horde, comme nimbée d’une sainte lumière. Le Tribunal avait rendu son jugement. Jeanne était son émissaire. Son destin l’attendait.
Ou, dit en moins de mots : une sainte guerrière, clerc de la guerre à l’historique de héroïne du peuple, frêle mais dextre, sage par-delà son âge et plutôt charismatique, un build pas commun (9/16/12/10/16/14). Maîtrise de la médecine, du dressage et de la religion, de la survie aussi, enfin de la persusasion ; tout cela conformément à son historique. Son manque de puissance physique m’a poussé à investir toute ma fortune de départ dans une mule, la fière Rossi, têtue mais fidèle, qui portera mon paquetage.
À ses côtés (tout cela déterminé par mail et en session 0) :
Sire Édouain, banneret du tyran sanguinaire, avait rénié son serment quand était venu l’ordre de massacrer les villageois. Puis, quand Jeanne lui est apparue au petit matin parée des couleurs de l’aube, à la tête de son ost improvisée, il est allé jusqu’à la trahison : il a lui-même passé le tyran au fil de l’épée, achevant de désorganiser la horde, qui fut taillée en pièces. Issue d’une famille de vieille noblesse encore attachée aux traditions de la foi ancienne, il n’est pas bien sûr de ce qu’il lui arrive. Ce n’est pas la première fois qu’il trahissait. Une autre fois déjà, il avait changé de camp pour le salut de son âme, fidèle à ses principes plus qu’à son serment. Il a cru voir en Jeanne un repentir possible. Serait-elle celle qui, enfin, ferait coïncider en lui loyauté et grand cœur ?
Ivellios Amakiir avait déjà rencontré Jeanne. Pour lui c’était hier, pour elle il y a quinze ans. Ivellios est un elfe, un prince des hautes-forêts, en quête de beauté et de plaisirs terrestres. La spiritualité l’ennuie et les responsabilités l’effraient. Sa famille le lasse, la forêt aussi. C’est ce qui l’avait lancé sur les routes, pour une carrière de roublard, presque de bandit de grand chemin. Il avait remarqué sur la fillette un curieux médaillon d’origine Eladrin, une breloque sans valeur pour ces paysans, un trésor pour lui. Il s’était promis de revenir à l’occasion afin de s’en emparer, et c’est ce qu’il fit — après la bataille. Faute de trouver Jeanne immédiatement au milieu des décombres, il se tourna vers la chapelle incendiée, où le reliquaire qui contenait le crâne fendu de sainte Oldéa l’attendait au milieu des flammes. Une cible facile. Mais quand il sortit, Jeanne était là, rayonnante et victorieuse, qui le remercia d’avoir sauvé la relique. Il n’eut pas le cœur de la détromper. Elle comptait se rendre à Neuvaine, où une congrégation du Tribunal pourrait sûrement assurer la sécurité de ces saints ossements. Il proposa de l’accompagner, une petite idée derrière la tête.
Et c’était parti !