Boulons de culture
L’intelligence artificielle était sans doute un but trop élevé pour l’humanité. Il nous aura fait rêver, pourtant.
Je vais faire mon âge encore une fois mais, moi, quand petit j’imaginais l’IA, je voyais surtout le livre de Sophie dans l’Inspecteur Gadget, vous vous rappelez ? Elle tapotait deux trois trucs dedans et le livre lui recrachait toutes les infos utiles, bien classées, visualisées et tout. On pourrait dire que je l’ai finalement obtenu, ça : c’est Internet. Une gigantesque base de données d’informations qualifiées, explorables. Certainement que je manquais d’imagination, et de culture. Après tout, il y avait HAL, il y avait Mother, il y avait C-3PO qui, à l’époque, s’appelait encore Z-6PO dans nos contrées reculées. Mais bizarrement tous ceux-là je ne les voyais pas comme très artificiels, je crois. C’était plutôt des cerveaux humains plongés dans du formol numérique ou quelque chose comme ça. Non vraiment, moi, l’IA, je voyais ça comme un ordinateur, vraiment un ordinateur, avec clavier et tout, mais un ordinateur capable de réfléchir, de déduire, d’induire, de discriminer. Celui de Wargame, peut-être ?
C’est de toute façon très loin de ce qu’on appelle l’IA aujourd’hui. Et je comprends. Sans doute qu’un enfant n’avait pas les moyens de prévoir la route que la technologie prendrait. Je ne pouvais pas conceptualiser les LLM en cet âge tendre. Mais les voilà et avec eux revient une question lancinante, que je me pose depuis longtemps déjà, depuis qu’Internet, l’IA rêvée, a failli aux promesses formulées maladroitement par l’enfant que j’étais pour devenir en gros le lieu de l’éternel retour du mème : est-ce que nous ne serions pas en train de renoncer à l’idée d’une intelligence artificielle pour embrasser à sa place celle, plus rapide, plus séduisante, de la bêtise très naturelle ? Est-ce que, plutôt que d’espérer élever des machines au rang de l’intelligence, nous ne serions pas en train de devenir tous cons comme des boulons ?