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Me voilà donc dans mes murs où je découvre l’espace. Les pièces sont claires et agréables, la chambre de Joseph, petit bureau en son absence, est même tout à fait plaisante, ouvrant grand sur le tilleul d’un côté et calfeutrant de l’autre, avec sa porte voûtée en alcôve. Je m’essaye à plusieurs endroits, cherche le nexus des champs d’inspiration qui, ô surprise, n’est pas beaucoup plus là qu’ailleurs, mais frémit tout de même parfois, face aux fenêtres en général. C’est sûrement l’excitation de la nouveauté, bien plus que l’esprit des lieux cela dit. Nous lançons un projet conjoint avec Jules, sur lequel nous partons vent au large, pour Dieu sait où, avec la bonne humeur des marins trop longtemps restés à terre (je parle pour moi). Mais restons domestique : certains petits problèmes se font jour au fur et à mesure bien sûr, mais rien de bien rédhibitoire. La rumeur du périphérique, tout proche, n’est que murmure même en ouvrant les fenêtres, et disparaît tout à fait lorsqu’on les ferme, sous l’effet du double vitrage. La colonne d’eau usée n’a pas été changée. Le tilleul est un peu trop touffu, il fait un peu frais. De tout cela, un grand anxieux pourrait probablement se trouver incommodé et donc se demander sans cesse si la décision était bonne (si l’investissement était bon), mais dans ce genre de cas, c’est ma distanciation qui a du bon. Tout cela glisse.
Je n’ai pas encore bien eu le temps d’y être beaucoup seul, et donc d’invoquer ces fameux nexus, mais cette semaine devrait m’en donner l’occasion. Élise était là souvent (ce qui n’est pas forcément pour me déplaire, notez ; j’ai d’ailleurs pu me rendre compte qu’il est bien différent de vivre à deux dans un studio, et dans un trois pièce, et même, que cela est parfois propice à la contemplation et à l’écriture ; surprenant, non ? ), et Joseph a passé avec moi les deux derniers weekends, qui se sont très bien déroulés. Il y semble heureux et sage. Il dit même s’y sentir bien, textuellement. Je me demande où il a bien pu pêcher une telle phrase, qui est une pure convention de langage. Sans doute lui aura-t-on fait répéter son texte. Il a aussi déclarer vouloir « faire un circuit pour que la moto puisse rouler ». Premier subjonctif, avant trois ans. Yeah !
La ville en elle-même et en revanche n’est pas une réussite. Les rares bâtiments anciens, comme la mairie, sorte de maison de poupées aux pierres trop grandes pour elle, la maison Doisneau, bel et vieille bâtisse du dix-huitième, ou Saint-Saturnin, simple et gothique, sont environnés de sommets de laideurs de briques et de plastiques. Mais par miracle, cela me fait tout de même l’effet d’être dans une maison de campagne aux portes de Paris car il y règne un grand calme. Peut-être est-ce dû aux grands platanes proprement élagués, ou à ce petit parc où Joseph et moi avons déjà nos habitudes et que nous avons baptisé « le jardin aux tortues ». À la proximité de la cité universitaire également, qui produit un grand contraste avec l’insupportable Montsouris, où j’ai failli défaillir hier, au milieu de la horde, et qui est pourtant juste en face, de l’autre côté du boulevard. En définitive, l’effet produit est celui de « l’îlot ». La mairie est un îlot de vieille France dans un cadre fait d’inox, ciment aggloméré et mobilier urbain. Le jardin un îlot de verdure coupé des routes sans âmes par ses hauts murs et son bassin. Ma maison un îlot balzacien en retrait dans son jus.
Le fonctionnement de la copropriété a l’air bien complexe. Il me sera expliqué en détail lors de la prochaine assemblée prévue pour le 11 mai. Et recommence ainsi à se dessiner l’interminable traîne des travaux administratifs, qui sont décidément ma plaie (et je ne dois pas être bien original là-dessus). Ainsi, j’ai perdu à New York mon permis de conduire, ma carte vitale et les papiers de ma Vespa, très exactement le certificat provisoire d’immatriculation, ce qui pourrait n’être rien, cependant le certificat définitif ne m’est jamais parvenu et ne me parviendra sûrement jamais. Si j’en crois le site internet sur lequel on peut suivre les pérégrinations de la bureaucratie en marche, il est parti pour Charleville-Mézières le 18 février. Autant dire perdu. Je me vois donc dans la situation délicate de devoir réclamer un certificat définitif sans plus avoir de certificat provisoire, et en ayant déménagé entre temps. Gageure insurmontable, si vous voulez mon avis. Refaire mon permis semble n’être qu’une formalité à côté, je n’aurais qu’à me déplacer deux fois en la sous-préfecture de L’Haÿ-les-Roses. Bref. Il y aurait aussi les médecins, dentiste et dermatologue, à rappeler. Passons.
Sur le front du travail, j’aurai peut-être à faire une traduction cet été, ce qui serait formidable, mais terriblement coûteux en temps. Je ne peux pas laisser passer l’occasion pourtant. Peut-être arriverai-je enfin à ne plus gâcher mes heures en futilités ?