Voilà bien longtemps que je n’ai rien écrit sous la forme « journal » et c’est que, délicieux paradoxe, il s’est passé des choses dans ma vie : j’ai acheté un appartement ou plutôt, mes parents et moi avons acheté un appartement. Je n’aurais jamais pu l’acheter sans eux. Je ne serai donc que le propriétaire légal. L’héritage seul m’en fera propriétaire moral (à paraître, réflexions sur le feu : honte et vertu de l’héritage, de la nation à la famille).

Sur les deux cent soixante mille euros requis, cent mille viendront de moi dans l’immédiat (et encore, une partie, trente mille euros environ, était lointainement d’origine parentale ; disons donc soixante-dix mille pour la seule sueur de mon front). Je vous fais grâce des frais de notaire, 0,825 % de la transaction, ça ne représente pas grand-chose, n’est-ce pas ? (Faites le calcul tout de même, vous pourriez être étonnés.) Ma mère les prend en charge.

Afin que nous disposions de la somme, j’ai vendu pour leur compte l’appartement que j’occupe actuellement, petit studio charmant en plein cœur de Paris (je cite l’annonce de mémoire), pour la modique somme de cent quatre-vingt mille euros, neuf mille cinq cents pour l’agence, le reste pour « nous ». C’était ma chambre d’étudiant qui est devenue ma chambre de célibataire plus ou moins endurci car, chose curieuse et qui ne devrait plus se reproduire, j’ai habité deux fois cet endroit, deux fois séparées par une période de quatre ou cinq ans durant lesquels je vivais avec la mère de mon fils. Cette chambre, la voilà vendue. Je devrai quitter les lieux vers le mois de février.

Une description complète du nouvel appartement ne présenterait peut-être pas un grand intérêt, je ne connais pas encore l’esprit des lieux, ce qui a quelque chose d’effrayant. Une décision qui engage ma vie, matérielle et spirituelle, dut être prise en quinze minutes environ, durée totale à ce jour passée dans l’appartement qui m’accueillera les dix années à venir, et plus si affinités ou problème d’argent (moins si très gros problème d’argent). Aurais-je traîné un peu, il me passait sous le nez, comme je l’appris à mes dépens au cours de ces deux mois d’affaires immobilières. Il fallut donc conclure vite, et à la hausse encore, à l’intuition qu’on y sera bien, fondée sur quatre photos enivrantes et une visite rapide. L’emplacement a joué beaucoup : à deux grand pas de chez mon fils, quinze ou vingt minutes de mon travail, je n’aurais jamais eu mieux compte tenu de mon budget. J’habiterai donc à Gentilly, 94250, retour aux sources val-de-marnaises.

Sans trop déflorer le sujet donc, sachez tout de même que la bâtisse a belle allure, un genre d’hôtel bourgeois balzacien (je lis beaucoup Balzac en ce moment, et je le vois partout : grand écrivain !) avec son perron à double escalier bordé d’une belle rampe embellie de figures en fer forgé, qui joua pour moitié dans mon envie de l’acquérir. Une grande pièce baignée de la lumière du jardin (les photos sont formelles), ainsi que son alcôve, qui sera aménagée en chambre de Joseph et salon de lecture. Fauteuil club à prévoir. Dépenses en vue. Car je n’ai pratiquement rien pour le meubler : je suis encore tout à fait garçon. Au cours de ce repas de réveillon avorté par l’entêtement que mettait à tomber la neige (mon oncle, sa femme et leur tribu de quatre têtes blondes ont dû renoncer, nous les attendons finalement pour le déjeuner du vingt-cinq), ma mère a d’ailleurs parlé de me constituer un trousseau comme à une jeune mariée : vaisselle, linge de maison, et meubles donc. Joseph aura son petit lit (celui-là fourni par la mère d’Elise), il sera chez lui (mais ce ne sera pas son foyer pour autant ; un foyer n’est pas un pôle, mais un centre, il n’en aura qu’un).

Pour finir, si je n’ai rien écrit pendant ce mois et demi chargé d’événements qui auraient pourtant, pour une fois, justifié que je raconte quelque chose, ce n’est pas par manque de temps (il m’en restait bien assez pour écrire et j’ai d’ailleurs passé un temps fou en futilités), mais pour une raison psychologiquement limpide : occupé à des affaires importantes, j’étais aux yeux de ma mauvaise conscience suffisamment productif comme ça.