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Pris dans le métro sans un livre, j'ai dû écrire pour passer le temps (tout plutôt que rien). Me forcer à écrire est vraiment la seule méthode qui permette de m'arracher deux mots. Je commence à comprendre, litote osée, pourquoi tout le monde me reproche de ne jamais rien dire. Je me le reproche aussi : je ne me dis jamais rien. Rien ne sort de cette tête de mule muette à elle-même. Je reste imperméable à quasiment tout ce qui m'entoure. Ce n'est pas vraiment marrant, ni pour moi ni pour personne, c'est même foutrement naze si vous voulez mon avis. Est-ce mon corps, insensible ? Mon esprit, inébranlable ? Ou mon cœur, immobile[1] ?
J'ai tout au plus et en mettant les choses au mieux, un certain goût, une idée esthétique. Mais affirmer qu'elle me provoque de longs et durables transports serait mentir. Lisant, parfois, je m'émeus, et encore, jamais pour le sort de tel ou tel, Sorel, Durtal, Roquentin ou Rubempré, toujours pour l'œuvre elle-même — la hauteur des idées, la beauté de la langue, la justesse du regard. C'est une esthétique de la création, jamais une esthétique du vivre.
On pourrait me croire bien triste à lire tout cela. Je ne le suis pas vraiment. Tout juste un peu vide, le cœur ankylosé, la langue meurtrie et sourd du nez. Justement incapable d'une terrible tristesse (au contraire, ma tristesse est profonde, elle n'est pas de surface). J'ai entamé l'esquisse de ma crasse inculture dans les domaines de l'art (œuvre bien ambitieuse), et cette inculture ne peut signifier qu'une chose : le beau n'est pas mon fort. C'est assez terne et même un peu banal. Je ne suis pas assez, voilà tout.
Il est assez curieux que, le sachant (et depuis longtemps figurez-vous), je ne sois pas allé chercher dans l'alcool et les drogues un réconfort sinistre (fût-ce me sentant choir[2], au moins me sentirais-je, etc.). Sans doute n'est-ce que par paresse, peur et demie mesure, ma marque de fabrique en quelque sorte (qu'on pourrait prendre pour de la sagesse). Dans le même ordre d'idée, il est curieux que je ne sois pas tombé en religion, qui me paraît être le moyen le plus sûr d'éprouver de grandes choses, de grands élans mystiques vers la création. Faute de religion, tout les sentiments de ce genre sont tournés en ridicule.
Cela pourrait bien être là le rôle de la religion : forcer l'extase. (Et tout se recoupe car que suis-je en train de décrire, sinon le mal du nihiliste, qui n'est autre que le mal des hommes sans religion ?)