Reprenons la théorie de l'éponge. Je pense très souvent en dialogue, entretenu avec une personne bien déterminée de mon entourage ou de mes lectures (by stretching things a bit[1]). Mon expérience la plus traumatisante avec les drogues, et peut-être mon expérience la plus traumatisante tout court, est ainsi d'être resté allongé toute une nuit, sans dormir, ruiné à la skunk hollandaise dans la chambre d'un hôtel miteux d'Amsterdam, et pensant constamment avec la voix des autres, de mes amis présents. Je n'étais plus du tout sûr qu'au matin, après un bref sommeil, je retrouverais la mienne. Couplez cela à la crainte adolescente banale du manque de personnalité, du désir d'être autonome intellectuellement, esthétiquement, vous obtenez un foutu bad trip. Mon je ne serait qu'une constellation d'autres ?

Eh bien oui. Un kaléidoscope de maîtres à penser, qu'il s'agit de bien choisir afin que, peut-être, une facette inaperçue jusqu'alors puisse finalement être observée à travers mon œil unique. La théorie de l'éponge comme métaphore du cyclope.

Je me suis habitué à cette idée.

Notes

[1] Dans la lecture, le dialogue est encore plus intérieur, à tel point que la deuxième voix se manifeste rarement en tant que telle puisqu'elle emprunte le timbre de ma pensée, celui de ma lecture, nécessairement. (Si je lisais à haute voix, peut-être le dialogue s'engagerait-il entre la voix de ma pensée et la voix de mon discours ?) Les influences littéraires et philosophiques sont ainsi plus souterraines, donc plus constitutives. Elles deviennent les soubassements de la pensée.