Ça faisait longtemps que je ne vous avais pas bassiné avec cette sombre histoire, je me sens donc autorisé à en remettre aujourd’hui une petite couche à la faveur de la publication de ce sémillant article dans Hors-Série : « Antisémitisme de gauche » : la grande fake news ».

L’auteur, Julien Théry, professeur d’histoire à l’université Lyon II et animateur pour la chaîne Le Média, nous livre en effet dans ce petit article un condensé chimiquement pur de tout ce que j’évoquais précédemment. Ses prémisses sont limpides : il ne peut exister d’antisémtisme à gauche, c’est ontologiquement impossible. D’ailleurs c’est bien simple, tous ces multiples cas d’antisémitisme de gauche que vous croyez connaître, les insultes de la SFIO envers Blum, le complot des blouses blanches, les délires exterminatoires des pionniers, du socialiste Fourier à l’anarchiste Proudhon, ne sont que des anomalies locales qui s’expliquent de mille façons, mais certainement pas par la présence d’un antisémitisme de gauche.

De ces prémisses déjà passablement bancales (Staline pourra remercier l’auteur ; même mort, c’est pas tous les jours qu’on lui fait des cadeaux comme ça), il en tire une imparable conclusion : tous ceux qui, aujourd’hui, s’aventurent à relever ce qui ressemblerait parfois, on ne sait jamais, à des traces d’un très léger antisémitisme à gauche aujourd’hui, ne peuvent que se tromper.

Et il s’arrête là, bien content de lui.

Non, je rigole, il ne s’arrête pas là. Non seulement ils se trompent, ces malveillants, mais ils se trompent en service commandé. En service commandé par la droite israélienne. Oui oui. Je vous laisse pour preuve cette titraille, bien grasse, en plein milieu de page, pépouze :

Il fallait un « antisémitisme de gauche » pour aujourd’hui : la grande manipulation néolibérale-sioniste

Ces accusations injustes que de pauvres hères, pauvres quoique juifs, osent lancer à la face de la sainte gauche sont une grande opération de propagande israélienne.

Il est devenu vital pour l’État d’Israël et ses défenseurs de disqualifier d’avance la critique de gauche, nécessairement dévastatrice, avec l’accusation malhonnête d’antisémitisme.

Eh oui, on ne rêve pas, cet historien nous fait le coup de la hasbara (qu’il cite d’ailleurs ensuite, un peu après avoir déploré qu’on salisse ainsi Méluche). Vous la voyez venir, l’assimilation juif = sioniste, vous aussi ? Et pas n’importe quel sioniste, hein : sioniste génocidaire, s’il vous plaît. Et si vous ne la voyez pas venir, ne vous en faites pas, Julien Théry vous en a dressé la liste.

Une liste de vingt personnalités « génocidaires à boycotter » publiée sur son compte Facebook, parmi lesquelles Joann Sfar, dangereux dessinateur et génocidaire bien connu, ou encore Yvan Attal et même sa compagne au passage, Charlotte Gainsbourg, la pire de toute.

Comme on s’en doute, la LICRA s’en est émue, et comme on s’en doute, Julien Théry s’en est amusé :

Les petits fonctionnaires de la hasbara chassent en meute derrière la très mal nommée LICRA ! En confondant bien sûr “juifs” et “sionistes partisans du génocide en Palestine”… confusion typiquement antisémite”

Le grand classique : ces gens-là c’est rien que des sionistes, voilà tout. Et les sionistes, on en fait la liste. Histoire de les dégager de chez nous. Legit.

Tellement legit qu’il a du soutien, Julien Théry, une longue tribune qui s’insurge qu’on s’en prenne à cet innocent, signée, très très entre autres, par la France insoumise, évidemment.

Une longue tribune qui dénonce ce “maccarthysme à la française”1, et où on lit ça :

L’article de Julien Théry, qui démonte cette idée d’un « antisémitisme de gauche », est donc dérangeant pour les soutiens à l’État d’Israël et leurs stratégies de communication.

Vous voyez, quand je vous disais juif = sioniste génocidaire ? À présent, à la simple pensée que puisse exister un antisémitisme de gauche (pensée proprement “démontée” par notre historien en chef), vous serez classé parmi les soutiens à l’État d’Israël et même partie de leur stratégie de communication (c’est ça la hasbara, pour ceux qui l’ignoraient).

Mais je sens bien que vous doutez encore, alors j’enfonce le clou. Vous trouverez derrière ce lien non seulement une analyse bien meilleure que la mienne de toute cette histoire mais, également, tout en bas, les visuels que Julien Théry postait encore récemment sur les réseaux sociaux. Si ceux-là ne dissipent pas les derniers doutes que vous pouviez concevoir quant à la pente résolument antisémite qu’emprunte ici ce monsieur, je ne donne plus très cher de notre avenir.

J’aimerais, pour finir, bien insister sur cette cascade réalisée sans trucage : prétendre démonter l’idée même d’un antisémitisme de gauche tout en l’étant soi-même. Voilà ce qu’a rendu possible le discours actuel.

Parce que le plus triste, le plus terrible, c’est qu’il est loin d’être le seul à la réaliser, cette cascade. Désormais, on peut tranquillement être antisémite et s’en blanchir dans le même mouvement, c’est comme ça, c’est ainsi. Il suffit de mettre un pauvre petit signe égal entre juif et sioniste2, comme ça, d’autorité. Simple, mais il fallait y penser. Courage à tous ceux qui depuis cinquante ans s’échinent à nous expliquer la différence entre antisionisme et antisémitisme pour démêler ce merdier.

Notes

  1. Sans doute pour faire marrer les époux Rosenberg. 

  2. Et, encore une fois, « sioniste », ça peut être bien peu de choses. Vous êtes pour la solution à deux États ? Vous êtes sioniste.