Ces derniers jours, j’ai lu l’Anomalie de Hervé Le Tellier, que j’ai trouvé très sympathique. Un peu méta, mais très drôle et divertissant — c’est pourquoi je vous en parle.

Il est divertissant parce qu’on prend plaisir à le lire, il est bien fichu, bien écrit, rythmé, il ne ronronne pas du tout, il ose tirer son fil assez loin. Surtout, je crois, j’ai le sentiment qu’il ne cherche pas uniquement à divertir son lecteur, que c’est plutôt l’auteur qu’il visait. Que l’auteur a pris beaucoup de plaisir à l’écrire, à l’imaginer d’abord, puis à le construire, à y ajouter des éléments qui lui sont venus en chemin, à le boucler comme il le voulait finalement. En cela, ce n’était pas du divertissement. Car, paradoxe : le divertissement est le plus souvent douloureux à produire. Il nécessite beaucoup de concessions. Dans l’Anomalie, il n’y en a pas beaucoup. J’ai le sentiment qu’il a écrit le livre qu’il voulait écrire, qu’il le trouve imparfait certainement, pas assez profond, c’est assez net, trop rapidement brossé, c’est évident, mais tout de même correctement ficelé pour un ouvrage de ce genre. J’ai le sentiment qu’il en était content, et c’est agréable. Ce n’est pas un livre qui renonce. Il va de l’avant.

Il y a sûrement trop de personnages, ce que d’ailleurs il avoue lui-même puisque, particularité, le livre est intradiégétique, il existe dans le livre, et bien sûr c’est à peu près tout le thème : celui de la création et de la vie de personnages de fiction, pris sous un angle intrigant que je ne dévoilerai pas, et de toute façon c’est finalement anecdotique, ce n’est pas un livre à thèse, ni à suspense, c’est une forme d’expérience très encadrée mais qui parvient, par l’humour surtout, parfois un peu plus, par la vivacité, les rares aphorismes un peu ironiques, la perspicacité, à ne pas rester froide, du tout. Bref, ça se lit vraiment très bien, alors que ce n’était pas vraiment gagné d’avance.

Je ne sais pas s’il méritait le Goncourt, mais si le Goncourt n’était donné qu’à des livres qui le méritaient absolument, ça se saurait. Ce n’est pas une honte qu’il l’ait eu (quoique, peut-être : je ne me suis pas refadé la liste des parutions de 2020 pour affirmer ça).

Et puis dernière chose : j’ai aussi le sentiment un peu obscur que si je devais un jour écrire un roman réussi, ce qui est loin d’être gagné, c’est même très incertain (je l’ai déploré, je ne le déplore plus), il lui ressemblerait sûrement un peu. Il y aurait le même genre de recul, le même genre d’humour, et ce serait une histoire un peu tirée par les cheveux exactement comme celle-là. Bien sûr moi je me perdrais en route dans les broussailles et je finirais par n’intéresser plus que moi puis bientôt pas même ça, plus personne, et j’abandonnerais en route. Mais tout de même : il y aurait un peu de ça, peut-être. J’aimerais bien.