A glorious day ! Connaissez-vous le Hoge Veluwe, ce gigantesque parc naturel dans l’écrin duquel se trouve, mes amis, le Kröller-Müller ? L’ensemble vient, je l’apprends à l’instant, d’être nommé parmi les deux ou trois plus beaux endroits d’Europe selon mon cœur, avec l’active complicité de É., qui l’a probablement pistonné. C’est bien simple, si je participais à un site participatif sur le thème du voyage[1], je m’empresserais d’aller tout y raconter là-bas[2]. Mais commençons par le début : changement de plan. Le Museumwerf ‘t Kromhout est fermé tous les jours sauf le mardi[3]. Le ‘t Kromhout a plus pour lui que son orthographe rigolote, c’est le chantier naval historique, un objectif josepho-compatible. Misère ! Que faire ! Mais allons donc à cet endroit au nom imprononçable dont nous avait entretenus cet ami de Rotterdam, ou plutôt l’un de ses amis à lui ! Il était un peu tard, la voiture n’était pas à côté et il fallait bien compter une heure et quart de route… Nous étions à l’entrée du parc autour de midi.

De là, des vélos sont mis à votre disposition, tous disposant d’un siège enfant, et roulez jeunesse pour le musée, à deux mille cinq cents mètres de là à travers une pinède jalonnant la lande. Le parc en lui-même est magnifique, dans les tons et les odeurs, dans les longues perspectives rasantes sur une herbe dense et sèche, aux couleurs de savane, ponctuée de bouquets de bruyère.

Les abords du musée sont parfaits, bien qu’on craigne un peu pour la silhouette du bâtiment en lui-même qui, comme celui de la fondation Maeght (qui dans le genre “musée” est ce que je connais de plus proche, du moins est-ce celui qui me venait constamment à l’esprit par comparaison, toujours défavorable[4] : même fonction, même esthétique générale, même jardin de sculpture, même périodes entrevues, nombreux artistes en commun[5]), le bâtiment en lui-même donc, qui, comme celui de la fondation Maeght, est très moderne de conception, tous dans les bétons et les verres. Celui-ci, à la différence de celui-là, s’intègre pourtant très harmonieusement à ses jardins, grâce à une très faible hauteur et une localisation bien choisie, derrière une bute couverte d’arbres (et de quelques sculptures) d’un côté, ou bien en dehors de la perspective que dessine les pelouses, d’un autre.

A l’intérieur, luxe, calme et volupté, grâce à une foison d’œuvres splendides, de grandes toiles enfin là et de très belles découvertes. Songez : dans la pièce de choix, en forme de carré évidé, on se déplace comme au milieu d’un ensemble d’une quinzaines de très grandes toiles de Gilbert & George, The Paintings (with Us in the Nature) (thanks É.), qui donne l’incroyable impression que nous poursuivons, avec eux (car ils sont partout) le périple dans la nature qui nous mena jusqu’ici. Sur d’autres murs, des Van Gogh à la pelle (dont le portrait de Joseph Roulin, le facteur, que nous avions déjà vu, mais sur d’autres fleurs, à la Barnes Foundation de Merion, durant notre séjour à Philadelphie), un très beau Mondrian dans les ocres et les beiges, et un petit nouveau venu dans mon panthéon, dont je n’avais que très vaguement entendu parler, ce qui montre à nouveau que l’océan de mon ignorance est sans borne, comme souvent les océans : Fantin-Latour, Henri de son prénom, dont le portrait d’Eva Callimachi-Catargi m’enchanta, par ses cernes photographiqes et sa robe mousseuse. De petits Odilon Redon également, et une tour de Babel de toute beauté (sujet décidément parfait pour le peintre), de van Cleve il me semble[6]. Le tout se déguste pas tout à fait sans un bruit mais presque, et quelques salles parviennent même à vous accueillir vides. Cadre idéal.

L’extérieur, les grands jardins, maintiennent ensuite et contre toute attente ce beau niveau d’idyllisme. Une certain Jardin d’émail de Dubuffet, sur lequel nous jouâmes, littéralement, puisque ses dimensions et les gardiens le permettent, restera bien longtemps dans les cerveaux[7]. D’autres encore, je vous les donne en vrac, le Rodin accroupi, la belle Grande Pénélope gironde de Bourdelle face à la lumière du soir, car le musée fermait ses portes. Nous n’avons pu aller au fond.

Suivit une agréable balade à vélo, pas tout à fait directe, ornée d’un beau goûter les fesses dans les aiguilles de pin et les yeux dans la lande, sans âme qui vive à des kilomètres avant le retour en voiture. Joseph dormait à l’arrière. La moiteur appelait l’orage, qui ne se fit pas prier. Nous rentrions à Amsterdam, où j’ai acheté un beau morceau de double zéro.

Notes

[1] Mais ce serait mal me connaître.

[2] En plus, vous y auriez des photos.

[3] Ah ça, vous ne pourrez plus dire que je ne vous apprends rien.

[4] Mais si vous veniez à passer dans un rayon de cent kilomètres autour de Saint-Paul de Vence avec une demi-journée devant vous, je vous donnerais le même conseil que pour le Kröller Müller : Allez-y.

[5] Voilà typiquement une parenthèse trop longue qui devrait être une note, mais cette foutue note au milieu m’en empêche. Mon royaume, mon www pour des notes dans les notes.

[6] Il faut ici vous parler d’une chose qui complique sérieusement mon travail : en compagnie de Joseph, je dois tout faire au pas de course (et porter un intérêt pervers aux têtes de mort), j’ai à peine le temps de voir les toiles, pas vraiment de les contempler, encore moins de m’y absorber, donc pensez bien que je ne peux plus tenir ma bonne habitude de me trimbaler un carnet pour y prendre des notes. Tous juste les photos d’É. viendront-elles corriger les erreurs, une fois que j’aurais pris le temps de les croiser à mes souvenirs et mes textes.

[7] Une œuvre pour laquelle, je suis aux regrets de l’annoncer aux grands connaisseurs, l’influence du facteur Cheval sur Dubuffet se fait cruellement sentir.