Samedi : quartier libre. Nous n’avions d’imposé que le trajet jusqu’à Catane, dont la visite ne m’inspirait trop rien. Aussi ne précipitâmes-nous pas les choses, et prîmes le temps tôt matin de visiter le théâtre gréco-romain de Taormine, conque fossile creusée dans la plus belle partie de la falaise, avec vue sur la mer, et Catane au loin dominée par La Montagne au blanc sommet, dont une brèche artiste creusée par le temps[1] dans l’enceinte du théâtre laisse entrevoir la silhouette où qu’on s’asseye. Magie des lieux, encore, toujours, tout juste tempérée par une affluence digne de la Villa di Casale.

Taormine, toutefois, malgré ses charmes, n’est sans doute guère qu’un Saint-Tropez sicilien, parfois vulgaire, et franchement propret[2]. Comme de plus le corso Umberto I n’avait plus de secret pour nous, après un bref détour par Santa Catarina, sa curieuse vierge à l’épée et le petit Odéon miraculeux retrouvé lors de récentes rénovations, nous nous envolâmes vers le Castillo Saraceno, visible tout au-dessus, dominant la baie. Malheureusement, impossible de l’atteindre : ses portes sont fermées. Tant pis. Nous n’y aurions trouvé à mon avis que trois cours successives, à la façon du castillo d’Enna, et nous fûmes consolés par la présence improbable (pour nous, je suis sûr que les gens du coin s’attendent à la trouver là) de la Madonna della rocca, une église troglodytique, ou même pas : une grotte aménagée (avec goût) en charmante petite église, surplombant la piazza duomo et sa fontaine de la centaurine[3].

Ne restait plus qu’à descendre vers la mer, pour un gelato bien mérité, qui se transforma en agréable repas à Naxos-Giardini, les pieds dans l’eau ou presque. L’hécatombe de poulpes se poursuit. J’espère que nous n’aurons pas asséché toutes les réserves de l’île, il serait malheureux que ces délicieux céphalopodes ne soient plus présents pour notre prochaine visite.

À Catane, nous tombons précisément sur ce que nous voulions éviter et savions y trouver : une ville salle, pauvre, dure et dangereuse, ou du moins qui en donne l’impression. Nous en fûmes réduits à chercher le quartier bourgeois pour cesser de se sentir observés (c’était peut-être paranoïa de notre part ; il n’empêche, c’est tout à fait de nature à vous gâcher la balade). Deux ou trois heures, quand même, à errer à travers ville, en particulier sur ce marché vanté par tous les guides et dont notre seul souhait était de nous extirper. Je soupçonne fortement les rédacteurs-voyagistes de se sentir obligés de trouver cela formidable, parce que c’est un marché, parce que c’est populo, parce que c’est cool, les marchés populos, quand bien même rien ne s’y vend qu’on trouve dans tous les quartiers délabrés de toutes les grandes villes du monde, cochonneries en plastiques, sous-marques contrefaites, textiles synthétiques, et qu’eux-mêmes, ses grands reporters ouverts d’esprit, n’avaient rigoureusement rien à y faire que de s’encanailler à bon compte.

À mi-parcours, nous atteignîmes la place de l’éléphant de lave, gardien du duomo, où nous pûmes rentrer, le plus discrètement possible, malgré l’office en cours. La tombe de Bellini (que nous avions correctement identifié quelques minutes plus tôt piazza Stesicoro), et la momie du cardinal Dubest (que nous croiserons quelques minutes plus tard, à un endroit perdu pour ma mémoire), nous y attendaient. Un peu plus loin, nous rations le palazzo Biscari (une jolie choucroute dans les tons gris), attrapions du coin de l’œil le castillo Ursino, la via Crociferi et rentrions par la via Etnea, extrêmement fréquentée à cette heure. Dîner goûteux à l’hôtel, et courte nuit passée principalement à chasser les moustiques.

Lever sept heures. Préparatifs. Solide petit-déjeuner. Trajet sans encombre. Arrivée deux heures en avance, comme de bons voyageurs bien disciplinés. Nos amis espagnols, en revanche, ont bien failli rater leur avion, prévu pour décoller cinq minutes avant le nôtre. Retour à Paris.

Notes

[1] Premier ministre de la Providence au gouvernement de ce monde, disait de Maistre. Il aurait mieux fait de lui accorder la culture.

[2] Tempérons, tempérons : il y a de très belles pièces, et on s’y sent très bien. C’est simplement que l’ensemble est trop visité pour rester honnête. Pour preuve : ses restaurants. Mais, particularité notable, à mettre à son crédit : le Moyen Âge, dont je déplorais la trop faible présence, est plus présent ici que partout ailleurs dans l’île. C’est ainsi qu’en cherchant bien, ou même pas tellement bien, il est possible de se laisser toucher par la grâce du gothique arabo-normand : la petite cour intérieure du palazzo Corvaja, datée du XIe, est une pure merveille (elle abrite maintenant un musée des arts populaires), et la façade du palazzo Duchi di Santo Stefano, plus tardif (XIVe-XVe), n’a presque rien à lui envier : lancettes gémellaires autant que trilobées, décorations en damier de céramique, colonnes élancées ; tout juste a-t-il échangé cette belle robustesse contre beaucoup d’élégance.

[3] Emblème de la ville. Elle est mignonne comme tout.