Ce qu’il y a de dur, dans le roman, c’est la liberté. Le choix. Choisir quoi dire, et quand. Et puis pourquoi, d’abord ? Ça, plutôt qu’autre chose. Pourquoi ?

La fiction est suspendue. La fiction est vertigineuse. À chaque mot. La plus infime des fictions. Le plus humble des romans. Mais lui, au moins, ne tombera pas de bien haut. Il n’empêche. Pourquoi ça, plutôt qu’autre chose[1]?

Car dans le roman, tout pourrait être dit. Pourtant rien, absolument rien n’est nécessaire[2]. Le roman : combien de contingent ? Tout.

Enfin, presque. Parfois, la fiction dévale, et emmène l’auteur avec elle. Parfois, la fiction impose sa nécessité, par la vertu de son organisation, des règles que l’auteur a déjà imposées[3].

Mais même alors, même dans ce cas, après le choix des règles, l’auteur a encore le choix. Le loisir de laisser parler la fiction, ou non[4].

Il ne sert à rien de constater qu’il en est de même pour tous les arts, et même pour tous les gestes et presque toute la vie. Le vertige demeure. Là, plutôt qu’ailleurs.

La musique nous parvient. Nous n’avons guère le choix.

La vie aussi a cette curieuse façon d’imposer sa nécessité. Elle y réussit toujours. La liberté de l’auteur, dans la vie, est très ponctuelle. Comme en musique le musicien : le meilleur n’en est que le véhicule.

La musique s’impose à lui. Le roman, nettement moins. La vie, n’en parlons plus.[5]

Notes

[1] C’est là que les très saintes notes de bas de page interviennent. C’est là le génie des Vaisseaux brûlés (dont l’accès en ligne n’est plus gratuit les amis, tant pis pour vous si vous les avez ratés (Et quand je vous disais que les notes de bas de page sont saintes : regardez comme c’est pénible les parenthèses emboîtées)) : quelques menus paragraphes, et des notes de bas de page, des notes sur les notes, elles-mêmes annotées, ainsi à l’infini (moins un). Grâce aux notes, l’auteur est enfin capable de tout dire.

[2] Et dans le roman, les notes sont interdites, pour ne rien arranger.

[3] Et il est tout à fait probable que plus la fiction entraîne, meilleur sera le roman.

[4] Car la fiction peut se planter. Souvent, quand la fiction s’emballe, c’est qu’elle a rencontré une autre fiction de sa connaissance. Et même parfois une meute, et rien n’entraîne plus sûrement. Pourtant rien n’est plus mauvais. Le cas des bons romans est différent : c’est la vie qu’ils ont imitée.

[5] Le double-sens morbide n’est là que pour faire joli, hein. D’ailleurs, pour bien faire, la logique du texte aurait voulu que la vie s’intercale, et que le roman achève la phrase. Mais je vendrais père, mère et logique formelle pour une jolie chute, que voulez-vous. Et d’ailleurs je fais ce que je veux.