Un peu avant cinq heures, en novembre, quand le temps est au beau, humide mais beau, et clair, les vitres de l’immeuble qu’on voit de ma fenêtre au loin sur la colline de Bicêtre ont des reflets de bronze poli. De belles plaques de bronze, comme on n’en voit plus, et où en verrait-on ? L’époque n’est pas au beau matériau, l’époque est au plastique et au béton, au rationnel moulé qui permet de monter, à peu de frais, en peu de temps, l’équivalent de ce que nos ancêtres mettaient une vie et des fortunes à bâtir. Évidemment, c’est bien plus laid. Mais c’est ainsi. On ne voit plus de bronze.

J’ai l’impression qu’avec les siècles, nous ne nous enrichissons pas : ce sont les choses qui s’appauvrissent. Bien sûr, on peut toujours acheter un beau meuble en bois massif, mais cela nous ruinerait tout autant que l’achat de son buffet de chêne avait ruiné le vieil oncle Jean, tandis qu’on peut trouver en kit son équivalent contreplaqué pour moins qu’une bouchée de pain, enfin, son équivalent pratique, son équivalent d’usage, car en réalité, ce meuble en kit est d’une laideur repoussante ; surtout il est déjà, dès le moment de l’achat, obsolescent. Il ne tiendra pas l’hiver. Il ne constituera jamais un patrimoine, contrairement au beau buffet de l’oncle Jean dont plus personne ne sait que faire et qui encombre toujours la maison des grands-parents, en vente depuis le mois d’avril. Ainsi nous nous entourons d’une laideur éphémère, et nous achetons à fonds perdus de petites choses qui disparaîtront bien vite, dont la valeur s’évanouira immédiatement après la caisse et qu’il faudra racheter, et qu’après nous nos enfants rachèteront.

On pourrait penser que les choses, ces choses devenues seulement pratiques, ayant perdu de leur importance, laisseraient ainsi place à une autre dimension de l’être, une dimension qui serait sûrement spirituelle ou, en tout cas, loin du matérialisme. Mais ce n’est pas le cas. Nous ne gagnons pas en signification à mesure que les choses en perdent. Sûrement parce que le sens est dans les choses, en grande partie du moins. En tout cas, il semblerait que nous n’en ayons pas assez en nous pour remplacer le sens disparu. C’est ce que nous dit Houellebecq, ou plus exactement ce qu’il ne nous dit pas, ce que sa sécheresse nous montre, ce qu’il veut signifier avec ses descriptions courtes et les plus plates possibles de notre quotidien, ce grand vide que nous n’arrivons plus à meubler alors que le beau buffet de l’oncle Jean y arrivait si bien.