Pas de Saskia au Rijksmuseum ! Pourtant, beaucoup de Rembrandt, comme on s’y attendrait, tous plus enchanteurs les uns que les autres. L’oriental au blanc turban, l’autoportrait de jeunesse (cette fois je suis sûr de mon coup), si délicatement broussailleux, le coi paysage et son pont de pierre laissant passer les barques silencieuses, le portrait mélancolique du docteur Ephraïm Bueno, le sinistre syndicat des drapiers et son air de what the fuck are you looking at?, bref tous les tableaux aujourd’hui contemplés ont achevé de me persuader que Rembrandt est parmi les artistes qui me touchent le plus[1]. La beauté est sa première langue. Intéressante histoire : s’agissant de la fameuse Ronde de nuit, nous pouvons observer, dans la même salle, une minuscule copie (minuscule par rapport aux dimensions de l’original, titanesques). Or, la copie ajoute des détails sur la gauche du tableau, et même deux personnages : c’est que l’original a été découpé, en 1715, pour tenir entre deux portes de l’hôtel de ville ![2]

Mais pas de Saskia. Le site m’affirme ce soir qu’ils en possèdent bien un, mais soit je ne l’ai pas reconnue[3], peut-être en raison de son accoutrement princier sur ce portrait, soit il n’était pas exposé ce jour. Décidément, quelque chose se trame, entre Saskia et cette ville (rappelez-vous l’histoire de la séparation des dépouilles). D’ailleurs mon enquête progresse (maintenant sa laideur solidement établie).

J’ai repensé à la Saskia au lit, qui m’avait hypnotisée lors de ma visite de la Frick Collection. Or, ce dessin date de 1642 : l’année même où Saskia mourut, quelques mois après la naissance de leur fils. C’est donc cela, la terrible tristesse qui s’en dégage. Nous assistons à ses derniers jours. Peut-être est-ce Geertje Dircx, la nourrice, qui la veille ; celle que le maître collera à l’asile un peu plus tard, lorsqu’elle réclamera qu’il l’épouse, rapport, imagine-t-on, à quelques parties de plaisirs partagés. Quoi qu’il en soit, ce n’est pas Hendrickje Stoffels, la bonne qu’il engrossa, puisqu’il ne la rencontra qu’en 1647. En revanche, cette Hendrickje, où est-elle enterrée, je vous le donne en mille ? Westerkerk ! Et Rembrandt, apprends-je à l’instant, selon tous les wikis du monde, vendit en 1662 la tombe de Saskia, pour payer les funérailles de Hendrickje ! Mais alors, le mystère s’épaissit : où est enterrée Saskia, si elle n’est plus à Oude Kerk ? Cette tombe serait “vendue”, et la dépouille de Saskia se trouverait autre part ? Rien, à Oude Kerk, ne laissait supposer qu’elle n’y fût plus. Cela me paraît curieux.

Une autre hypothèse, peu séduisante, serait que cette tombe d’Oude Kerk ne soit pas l’originale, que Rembrandt en ait vendu une autre, et que Saskia se soit retrouvée là (dans l’église la plus courue de la ville à l’époque…) par suite de cette vente, tout à fait par défaut, et sans que personne ne paye rien ?

Encore une autre (la moins séduisante) : Rembrant lui gardait une tombe fraîchement creusé à ses côtés dans Westekerk, charge à la postérité de l’y déplacer depuis l’atroce Oude Kerk où il l’avait laissée, ce dont il ne se remettait pas, et ce serait celle-ci, l’emplacement de Westerkerk, qu’il vendit ?

Non, décidément, rien ne colle. Si vous voulez mon avis, ce n’est pas la tombe de Saskia que Rembrandt a vendue et tous les wikis du monde se plantent à la ronde : c’est la sienne, son emplacement aux côtés de sa femme qui l’attendait à Oude Kerke, certainement lieu de villégiature bien plus en vogue pour les cadavres de l’époque que la miteuse église de l’ouest, Westerkerk, où il put, avec le profit de la vente d’un emplacement à Oude Kerk, s’en payer deux : un pour Henricke, et un pour lui.

J’avance, à l’appui de ma thèse, le site d’Oude Kerk, gravenopinternet.nl, qui nous dit, pour la notice de Saskia :

SASKIA (op vm. zerk merk X, van Nel van Godtwegen). Echtg. kocht graf. Twintig jaar later verkocht hij graf (in 1662) om begrafenis Hendrickje Stoffels te kunnen bekostigen (b. in de W.K. 24-07-1663).

Je ne sais pas s’il y a un néerlandophone dans la salle, mais moi, ce hij (“hij graf”) me fait furieusement penser à “his”, “son” (sa tombe à lui), et pas du tout à “her” (qui serait haar en néerlandais, me souffle un site de traduction automatique), qui seul donnerait “sa tombe (à elle)”. Ce serait donc bien sa propre tombe que Rembrandt vendit (verkocht, vais-je gaillardement supposer), pour s’éloigner de la malheureuse laideronne. Ou bien je ne comprends rien au néerlandais.

Stay tuned.

Notes

[1] Je vous fait confiance pour googler tout ça. Ils sont tous visibles sur le site du Rijks.

[2] Et le plus intéressant, c’est que tous les sites m’affirment, ce soir, que cette copie est en réalité à la National Gallery ! Mais qu’ai-je contemplé alors ? Une copie de copie ? Un fac-similé de reproduction ? Il était bien là pourtant, et autant que je me souvienne, en huile et en toile… Qui se serait amusé à cela ? Ou bien un échange de dernière minute entre les musées, particulièrement discret ?

[3] Il est vrai que j’ai fait la visite au pas de course, ou plus exactement dans les pas de mon fils, qui s’intéressait plutôt à la décollation de Saint-Jean Baptiste et réclamait de sérieuses explications sur cette affaire.