Petit détour sur la route d’Agrigente par Caltagirone et ses céramiques, son escalier surtout, la scalinata de Santia Lucia del Monte, improbable verticale brisée au milieu d’une petite ville paisible de province. Puis traversée de Gela en voiture, sorte de ville nouvelle inachevée, à demi construite, puis laissée à l’abandon, mélange de briques et de parpaings parfois habités. Et enfin, l’arrivée par la vallée des temples.

Timing parfait : nous saisîmes le temple d’Héra sous un beau soleil rasant de toute fin d’après-midi, avant d’errer mollement au milieu de ses ruines somptueuses perchées sur leur éperon dominant la mer. Plus loin, le temple de la Concorde, moins bien préservé que dans mon souvenir (j’étais persuadé qu’il avait encore son toit, mais peut-être confonds-je ?). Il a tout de même très grande allure, avec ses arcades intérieures percées par les chrétiens qui s’en firent une basilique (et ils firent bien : c’est grâce à eux que son état de conservation demeure plus que satisfaisant, l’un des meilleurs, paraît-il). L’ordre dorique : force tranquille vouée à traverser les âges. Ces temples nous auront sagement attendus pendant 2500 ans, 1000 ans de plus que les quelques oliviers millénaires et contournés qu’on croise entre leurs colonnes mousseuses. Bien sûr, on ne peut y accéder véritablement, et un peu de la poésie des lieux s’en trouve forclose. On regrette de ne pouvoir sentir leurs sols sous la semelle, de n’être pas passé sous leur fronton, comme on peut s’enivrer de l’esprit des sites néolithiques de Malte, pourtant leurs aînés de 4000 ans (mais il est vrai que l’architecture du Ggantija de Gozo est moins subtile, et risque moins de souffrir du passage des hordes d’amateurs de cartes postales[1]).

Le millier d’années : l’échelle des temps. De quoi sentir la hauteur des barreaux. Un aperçu, non de l’épaisseur des siècles certes (car ils sont bien mités), mais de l’existence des millénaires, de leur réalité présente, du chemin enjambé.

Bien que les entrées de la vallée ferment à sept heures, nous eûmes le temps de pousser jusqu’au temple d’Hercule, aux belles cannelures. La plupart de ses colonnes ont dévalé la pente. Toujours sans nouvelle des gardiens, nous divergeâmes à travers la nécropole paléochrétienne et ses tombes creusées dans la roche, à ciel ouvert. L’hypogée est malheureusement inaccessible. De peur de nous voir intimer l’ordre de déguerpir, nous n’avons pas voulu traverser la route qui mène à la deuxième partie, réservée au lendemain, afin de flâner encore un peu, seuls au monde, dans l’aube des temps.

Notre chance ne s’interrompit par pour le dîner : sur la piazza Cavour, la Posata di Federico II[2] déroula pour nous ses délices. Je vous recommande chaudement les artichauts fourrés (et Casanova se joint à moi, si j’en crois leur carte).

Notes

[1] Qui, comme chacun sait, ne se rendent sur ce genre de site que pour constater qu’elles leur sont bien fidèles.

[2] Les Souabes montraient pour la première fois le bout de leur nez.