Le premier jour d’un voyage est toujours surréaliste. Non pas que l’étrangeté nous prenne à la gorge, ou que nous suffoquions sous l’exotisme, mais à l’inverse et tout au contraire : Nous n’y sommes pas. Nous sommes ailleurs. Restés sur place, en partie, et en partie partis ; encore dans les airs, les limbes, au beau milieu de nulle part. Il faut bien avouer que de se lever un frais matin d’hiver à Paris pour monter dans le RER B afin de se retrouver, une poignée d’heures plus tard, au volant d’une Fiat 500 sur la route reliant Catane à Syracuse, n’a rien de très naturel : rien de réaliste. Aussi notre cerveau, qui aime le naturel, et le réalisme plus encore, nous refuse-t-il la pleine conscience de ce que nous vivons dans ces premiers instants de déplacement.

Il faut se répéter : oui, je suis bel et bien en Sicile, là, ici.

Premier jour, donc : valises posées à la Villa Politi, au nord de Néapolis, puis déambulage dans Ortygie, petite île à la pointe, tout juste reliée par deux ponts, et site historique de la première colonisation (la deuxième, en fait : les premiers Grecs venus de Naxos s’installèrent et fondèrent, dans un grand moment d’originalité collective, la ville de Naxos, aujourd’hui Naxos-Giardini). Dédale. Ruelles. Odeurs de mer. Primi piatti. Un bâtiment sur deux menace ruine, mais le charme est là. Et puis le duomo, la cathédrale gigogne, qui cache un temple d’Athéna en son sein (du moins ses émouvantes colonnes doriques, tellement fortes, tellement rondes et puissantes qu’elles traversèrent les siècles et l’évangélisation, pour nous parvenir, affaiblies, tordues, mangées, séniles même, mais bel et bien sous nos doigts).

Au retour, nous traversons un match de football improvisé sur la place Santa Lucia, martyre locale. Première vision de Siciliens “normaux”, tels qu’on les imagine. Ils sont là, dans Néapolis. À côté des Pakistanais en pleine partie de cricket.