La liberté, ce n’est pas si mal, comme il fallait s’y attendre. Encore, ai-je charge de mon garçon en ce moment, ce qui en réduit l’amplitude (pas le plaisir retiré). Nous arrivons tout de même à l’exploiter fort honnêtement au cours de ce petit séjour hollandais. Ainsi, pour aujourd’hui ce fut Volendam, Marken et Edam qui eurent l’honneur d’accueillir ma déshérence. Je ne suis d’ailleurs pas certain que la première en mesura tout le poids, car elle ne se montra pas sous son meilleur jour (ou peut-être que si, mais je lui laisse une chance). Elle n’étalait aujourd’hui en ces rues, certes charmantes, qu’un tourisme de bas étage fait de fritures, de sabots souvenirs et de combiné salière-poivrière en porcelaine et forme de bite. Avouez que ça la fout mal, question poésie. Marken, de même, était plutôt mal partie. Le port est en tout point semblable à celui de sa voisine d’en face sur l’IJ (la partie fermée du Zuiderzee, si j’ai bien tout suivi ; magie des digues (d’une en particulier : l’Afsluitdijk) : ici un lac, là, une baie). La logique est implacable : les deux villes sont reliées par bateau toutes les demi-heures (bateau que nous empruntâmes, bien évidemment, et qui jouera un grand rôle dans le souvenir que s’en forgera certain enfant de quatre ans), de sorte que les touristes passent insensiblement de l’une à l’autre, dans un mouvement presque involontaire, prescrit par les guides, passage obligé. Cependant, la foule est tout de même moindre et le village réellement charmant, atypique et d’une grande unité. Deux rues en tout et pour tout, puis quelques ruelles, la plupart des impasses. Des maisons étroites, en bois, verte rayé de blanc (toutes), et une petite église de brique à l’intérieur plutôt décevant (genre portuaire kitsch, avec maquettes de bateau et chandeliers en laiton). On pourrait croire que des gens vivent-là (et sûrement c’est le cas), dans un calme absolu hors des périodes estivales. Toutes les maisons bénéficient de leur carré de jardin à la mode protestante, bien en vue de tout le monde. Marken fut une île durant des siècles, avant d’être reliée à la terre par une longue route, qui ne l’émut en rien : elle garde tout son caractère insulaire.

Mais ce fut Edam qui remporta tous nos suffrages. Tout d’abord en sa qualité de ville, c’est-à-dire d’endroit où des gens vivent, où des commerces prospèrent grâce à une clientèle locale et sans recourir à la vente de salières priapiques. Ensuite, parce que l’endroit est splendide. Un long canal central s’étire en trident, depuis le pied d’un imposant carillon (pièce d’une église disparue) au toit en zinc absurdement ouvragé, jusqu’à l’hôtel de ville dix-huitième et le vieux musée branlant qui lui fait face de l’autre côté d’un pont rondouillard, trop large pour sa fonction, dont les pavés jaunes hautement photogéniques rehaussent joliment les tons. Plus loin, ribambelles de maisons à un étage en briques, assez diverses, excitant à peu près toute la rêverie grâce à leur charme propre et ancien, et à leur jardin caché, ce qui est rare, et précieux, en ces contrées transparentes. J’ai même réussi à trouver le secrétaire de mes rêves chez un antiquaire. Malheureusement bien sûr, il y restera. Le ramener serait un peu compliqué. Il faudrait revenir, faire un aller-retour pour l’occasion, soit dix heures de route tout de même. Le prix en vaut peut-être la chandelle. Nous verrons. Edam en tous les cas nous aura fait grande impression.