Le parti socialiste, les partis de gauches en général sont les partis des victimes, non pas parce qu’ils en comprennent une majorité parmi leurs membres mais parce que leurs membres tiennent à toute force à être de leurs côtés, du côté des faibles, des victimes qui n’en demandent pas tant (et votent Front National dans l’espoir inverse de cesser de l’être). Mon grand-père Choulem, l’ai-je déjà précisé ? – en même temps, il serait bon de ne pas faire comme si j’avais déjà noirci des tartines – aurait détesté qu’on le considère comme une victime. Il en était pourtant l’archétype, l’exemple le plus pur : la victime des camps. Se victimiser est une stratégie pour s’autoriser la haine de l’autre (la haine du fort), et accessoirement s’adjuger le méprisant soutien des bien-pensants, qui n’ont rien de plus pressé à faire que de manifester leur vertu en se plaçant du côté des faibles. Des faibles on ne peut pas parler sereinement. Il faut, parlant d’eux, déplorer seulement. Des forts, ou perçus tels (car le statut de victime n’a rien d’immanent, il vogue, au gré des modes de la vertu), on peut dire ce qu’on veut. Railler les américains, quoi de plus acceptable ? Ils sont puissants. Ridiculiser les catholiques, quoi de mieux toléré ? (S’agissant de ceux-là, il serait bon que la vertu s’avise qu’ils ne représentent plus grand-chose, en France du moins où ils sont devenus une minorité presque honteuse ; certains parmi eux le savent et, pour retourner le mouvement, tentent, je vous le donne en mille, de se victimiser.)

Bien sûr, il est juste et bon de soutenir la veuve et l’orphelin, mais est-ce nécessaire de le préciser ? Ne vaudrait-il pas mieux considérer comme acquis une bonne fois pour toute, que, étant en quantités égales pourvus d’un cœur et nourris au Walt Disney, nous sommes tous d’accord là-dessus, ou que, du moins, personne n’irait soutenir le contraire ni publiquement ni intimement (devant le tribunal de sa conscience) ? Que nous, humains réunis en conclaves, civilisations par-delà l’Histoire, avons constamment jugé, itéré et réitéré ce jugement depuis quatre mille ans à la louche : que le fort ne doit pas profiter du faible, qu’il doit l’aider, le soutenir et même, allons, s’efforcer de l’élever à lui (mais en ce dernier terme peut-être suis-je anachronique) ? En effet, considérant cet arrêté de la morale universelle définitivement entériné, sans retour en arrière possible, nous pourrions dépasser ce stade infantile de la vertu et nous projeter vers l’épineuse question des moyens, plutôt que de mariner pour les siècles et les siècles dans l’obscénité de juger vertueux en notre caractère ce qui n’est que normal et naturel et à s’arrêter là, obscénité qui va même, en certains cas chroniques une fois généreusement accordé par nos soins et à nous-mêmes ce brevet de bon civisme, à réclamer encore de nos contemporains qu’ils félicitent notre courage et encensent notre liberté d’esprit, quand ce n’est pas notre anti-conformisme ? What do you want, a cookie?