L’intimité du journal, c’est la vérité. Voilà le grand exercice. L’intimité, elle, peut se livrer impunément, là n’est pas la difficulté. Ce qui ne se livre pas, c’est la vérité ; sauf dans l’intimité du journal. La vérité crue froisse et blesse. Dans bien des cas, elle ne peut être dite. Le secret du journal, c’est de ne pas être lu.

Ecrire son autobiographie, voilà un rapport à la vérité bien différent. C’est en faire peu de cas. C’est une activité de brodeurs, de Rousseau et de Chateaubriand. Pour le journal au contraire, la vérité est sacrée. Et le secret de la vérité, c’est le secret.

Ecrire son blog, encore autre chose. Le blog se voudrait journal immédiat. Il n’est qu’immédiat. Ainsi, son arme absolue est la dérision : en raison de l’immédiateté, de l’absence de filtre, nous nous y livrons détachés. Ce détachement, la dérision, c’est ce que provoque l’immédiat lorsque la vérité n’est pas permise. C’est un moyen de livrer autre chose que la vérité. Dans le journal, la vérité est immédiate. C’est pourquoi le journal est intime. La dérision, elle, est un visage de la pudeur.

Au fond, l’ésotérisme avait raison depuis le début (pas étonnant , c’est de là qu’il vient (j’allais écrire « vous allez me dire », signe indubitable de détachement, comme si, m’adressant subitement à d’autres qu’à moi-même, j’adoptais un ton de dérision sans réfléchir)) : la vérité ne se transmet pas immédiatement. L’enjeu de l’ésotérisme, son importance, n’est pas dans le but de sa recherche, mais dans son mode opératoire, sa pratique du secret. Pour Paracelse ou Hermès Trismégiste, « dire la vérité » serait une idée absurde. La vérité nue ne se dit pas, elle serait bien trop mal reçue et d’ailleurs elle s’efface à sa simple pensée, elle se sublime et disparaît. Transmettre la vérité est un art. C’est même l’objet d’une quête (car comprendre cela, c’est comprendre l’être).

L’autobiographie est un travail. Une construction. Un récit de soi. La vérité y est une brique d’un grand édifice, au mieux une clef-de-voûte, en mettant les choses au plus près, dans certains cas très rares. Autant dire que le commun la remarque à peine, car elle n’a rien de remarquable dans ce cadre, à moins qu’on ne s’y colle le nez dessus, et qu’on y passe vingt ans. La vérité y est l’objet d’étude, de fouilles scientifiques. Quel travail qu’une autobiographie ! L’autobiographie est une cathédrale.

Dans le blog, on s’efforce aussi, comme dans l’autobiographie. Mais on veut faire vite. Comme dans le journal. Alors l’effort est faible et la vérité pour ainsi dire absente. Les blogs, ce signe de notre époque. L’époque n’est pas à la vérité.

Le journal qu’on fait lire est au mieux une correspondance. Une médiation transparente. Un journal lu, c’est déjà presque un blog.