Creusons la veine Muray. Comment ? Comment diable ? Comment diable fit-il pour écrire un tel essai, long, dense, interminable à dire vrai (un tiers lu, le deuxième le sera, le troisième ?), drôle dans son ensemble et si intensément divergent ? Résumons : l’identité occulte entre occultisme et socialisme, anecdotes à l’appui. Manquant cruellement de démonstration. Désarmant les critiques à ce propos : "l’anecdote est et sera significative" nous dit-il en substance. Comme s’il suffisait qu’un auteur, quelque part, un jour, dégage un morceau de sens du fatras réel pour qu’il se mette à exister, luire, puis envelopper son sujet et l’ordonner, prêt pour l’analyse, thèse, synthèse et concluons. Qu’un socialiste soit aussi astrologue, qu’un chiromancien se passionne pour Fourier et zou, nous voilà dans l’identité. Ne rate-t-il pas son sujet ? Pourquoi ne serait-ce pas plutôt, justement, le dix-neuvième siècle qui s’exprimerait là ? Les modes, bêtes, méchantes et volontiers contradictoires ? Nous ne saurons. Car nous ne plongerons pas plus profond. Au tiers de l’essai je l’affirme : jamais Muray n’explorera le fondement de cette affaire, malgré son grand amour pour les histoires de cul, il restera figé au niveau de l’analogie. Il ne cesse de reprendre : l’analogie est profonde ! Elle est profonde ! Elle dit beaucoup ! Regardez comme elle fait sens ! Il ne la questionnera jamais. Comme sa plume, ce livre se cherche en permanence. Il tente. Il juxtapose. Au hasard, mais significatif : « L’homme dans les pinces des planètes. Entre les griffes des corps célestes. Au forceps des satellites. Star war ! » (Tel, p. 237). On perçoit bien la tentative lacanienne (je crois : je n’ai jamais lu Lacan[1]) de dégager le sens comme on pèle un oignon, par couches successives. Cependant : pourquoi ne serait-ce pas un laisser-aller ? un livré à lui-même ? une pensée encerclée ? Pourquoi répéter la même image, se contenter de la décliner ? Ce ne sont pas des facettes qui nécessiteraient cette profusion pour être correctement décrites. Ce sont des possibilités identiques, entre lesquelles Muray ne choisit pas. On l’a pourtant connu moins tatillon sur le chapitre de la discrimination. Sa thèse se cherche tout le long de l’essai ; la variabilité des moyens de son expression ne la rend pas plus évidente. Que ferons-nous du démenti qu’apporte notre époque ? L’occultisme est devenu, au mieux, un dada de coco nouvel âge, dépravé, inoffensif (ce qu’il était déjà au dix-neuvième : il n’était que plus répandu). Le socialisme est là. Il fut. Il est. Comment un tel découplement se serait-il opéré ? Quand l’occultisme a-t-il sombré, alors que son égal socialiste, lui, se réalisait ?

Notes

[1] Si quelques lecteurs doutaient encore que, dans ces pages, on parle sans savoir, les voilà fixés. Je leur demande juste la même honnêteté. De réaliser franchement que la moitié du temps, lorsqu'ils affirment, ils régurgitent une connaissance figée.