Lors d'un visite de musée, observez bien les gens (la plupart, toujours). Ils passent les trois quarts du temps pliés en trois pour lire le panonceau qui leur révélera si cette toile mérite qu'on la regarde, au moyen d'un nom tonitruant, Matisse, Picasso, Renoir, un qu'on se rappelle bien.

Ainsi, à l'abbaye de Flaran est présentée la collection Simonow, qui comporte de bien belles choses[1] si j'en juge par mon goût douteux[2]. Cependant j'observais deux groupes distincts de cinq ou six personnes, qui avec nous constituaient tout ce que le musée comptait de visiteurs et qui pourtant parvenaient à le transformer en hall de gare par la magie de leurs voix hautes. Les deux groupes se confondirent autour d'un certain autoportrait de Marie Laurencin, derrière lequel je me tenais. Certains passèrent rapidement sur ce tableau qui, à vrai dire, ne présentait pas grand intérêt (hormis peut-être son sujet : quelle drôle de tête ! Un air pincé, des pommettes très hautes ; elle me fit rapidement penser à Karine T.), mais d'autres les rappelèrent vite à l'ordre. Regardez ! En-dessous, remarquèrent-ils perspicaces, se tient un dessin de Cocteau, qui précisément, est un portrait de Marie Laurencin (l'affichette les y avait aidés) ! Et tous de se tourner, non vers les deux images, mais bien vers les panonceaux. Et d'y rester courbés cinq bonnes minutes, détaillant chaque information (en nombre peu élevé, pourtant : auteur, titre, année, taille, technique) et s'extasiant de plus bel sur ce bout de carton. Ce fut probablement pour eux tous le clou de l'exposition, et la seule chose qu'ils en rapporteront (ainsi que quelques noms, brandis comme des trophées (nous avons vu un Monet, un Cézanne, deux Matisse et demi et un Courbet de trente kilos)).

C'est un effet de l'intéressant, degré zéro (ou premier, allons) de la curiosité intellectuelle et sensuelle : ne vaut que ce qui peut, rapidement et sans effort, être mis en mots, nous raconter une histoire qui n'a rien à voir avec l'art. Ne vaut dans l'art que ce qui permet de parler d'art, sans comprendre de son fond un traître mot (qui n'en sont pas le plus souvent, le "traître" est donc ici particulièrement bien placé).

Notes

[1] Je suis bien trop respectueux des règles, car des photos (qui étaient interdites mais n'auraient pas fait grand-mal en l'absence de flash) m'auraient bien aidé dans mon nouveau projet de rattrapage intensif en histoire de l'art et esthétique. En l'état, j'ai déjà tout oublié.

[2] Parmi ce dont je me souviens : le portrait d'Andrée Bonnard, yeux levés, très expressive et libre dans son col sévère ; un Ratapoil de Daumier, contourné et retors (mais qu'on peut tout aussi bien le voir au musée d'Orsay semble-t-il ; vous serez toutefois bien plus tranquille à Flaran pour l'admirer) ; le portrait de Victor Chauquet par Cézanne ; une splendide nature morte, un coin de forêt presque mort en hiver, sous la neige, au-dessus d'une rivière pas tout à fait gelée (mais de qui était-ce bien ? Courbet ? Cela pourrait, bien qu'il n'y eût pas de cerf mort). Curieusement, le Monet présenté, une marine, genre dont il paraît qu'il est le maître, m'a laissé tout à fait sceptique. Très artificiel, un peu van goghien mais dans le mauvais sens du terme (traits épais, volutes sans grâce), où l'arrière- et l'avant-plan ne semblent pas communiquer. Sans doute suis-je hérétique, ou mon œil pas assez exercé.