J'aime la fin du quattrocento italien, ce qui doit probablement être puéril. Les belles découpes sages et avenantes, les cheveux fantastiques de Botticelli, le langage symbolique (mais simple), la douceur de Raphaël (qui doit plus probablement être classé dans le cinquo, qu'en sais-je ?), tout cela s'aime assez facilement. C'est parfaitement Renaissance, période qu'il nous est très facile de reconnaître comme supérieure à ce qui la précède et qu'on entend presque encore (du moins on l'entendait il n'y a pas si longtemps), par sa perfection, son adéquation simple, évidente, grecque pour tout dire, avec le réel. Peut-être ai-je également une tendresse plus exigeante pour Fra Angelico, et Piero dela Francesca, qui sont tout de même plus éloignés de ce qu'un homme du XXe ou du XXIe siècle attend lorsqu'on lui annonce un peintre de génie. Les défauts de perspective, la grande naïveté de certains tableaux qui ne sont d'ailleurs pas encore des toiles, ce qu'on observe chez eux est une naissance pas encore tout à fait re- (les thèmes grecs n'y figurant d'ailleurs pas encore) qui demande ainsi plus d'œil, plus d'une intimité patiemment construite avec les siècles pour les apprécier et les comprendre (faire siennes des choses qui nous ont été transmises comme lointaines). L'or nous y aide, cupide que nous sommes. Ensuite, les choses se gâtent, les angelots prolifèrent en France et en Italie jusqu'au XVIIIe siècle et mon goût, indécrottablement choqué par cet étalage de chairs joufflues et de joues roses, ne suit plus le mouvement. Je résume. Hormis pour Léonard de Vinci (et Raphaël, dont en googlant j'apprends qu'il est Haute Renaissance et donc plutôt cinquo, soit) et l'adoration des mages inachevée des Offices, qui est à peu de choses près la plus belle pièce que j'aie vue de ma vie, il me faut sauter en Espagne, au Greco, chez qui la peinture prend vie. Les portraits regardent, ils parlent, ils habitent un lieu précis de mon cerveau, non comme de belles images mais comme des esprits (ce saint Jérôme en cardinal, au-dessus de la cheminée dans le living hall de la Frick Collection). Puis en Hollande avec Vermeer, où l'évidence passe par les fenêtres (tout en faisant écho bien plus à la perfection précédente qu'au Greco déformant), et avec Rembrandt, qui vient toucher à mon amour de la brume. Au XIXe viendra Goya, et là, ce n'est plus de la peinture, à proprement parler.

Ce qu'il faut comprendre dans tout cela, c'est qu'encore une fois, je n'y connais rien. Rendez-vous compte, la tartine que j'aurais mise, si j'en avais su un tant soi plus. Tous ces goûts qu'on croirait personnels et bien arrêtés, juges de périodes entières, ne sont que les piteuses connaissances tronquées d'un même pas amateur ; d'un qui sait qu'il devrait s'y intéresser, d'un qui va au musée par pieux devoir culturel et qui n'a jamais vraiment étudié la question[1]. Or tout ceci ne s'invente pas. La compréhension, le goût de la peinture ne s'acquiert pas en contemplant quelques tableaux de temps en temps. Il faut de l'étude pour avoir de l'amour.

Très peu d'amour, ici. Donc très peu de goût[2]. Beaucoup d'âneries autodidactes, sûrement.

Notes

[1] Comme disait et dit toujours mon père lorsqu'il n'a pas d'avis tout fait.

[2] Il n'y a qu'à voir : en tapant cette note, quelques recherches d'images m'amènent sur des merveilles du cinquo, comme le Titien, odieusement oublié ; de plus, Raphaël est décidément cinquo, et bien différent de Botticelli en y réfléchissant, plus grec encore dans son désir mimétique et bien moins dans sa réalisation (car Botticelli conserve les belles erreurs de ces anciens). L'un peint, l'autre dessine. De même, Piero della Francesca est peut-être plus proche de Botticelli que de Fra Angelico par sa technique (mais moins par ses thèmes).