Le complexe du chevalier blanc atteint de nos jours plus ou moins tout le monde, puisque, de nos jours, plus ou moins tout le monde est de gauche, surtout les gens de droite. Il consiste en l’envie irrépressible de protéger la veuve et l’orphelin, par un soutien massif et total exprimé violemment au cours de discussions avec des gens tous d’accord, pas très orphelins ou alors de deuxième génération, et qui tous considèrent leur position commune comme l’apex du courage solitaire et de la vertu individuelle : prendre parti pour le plus faible, le protégé de tous, en s’aliénant ses amis au besoin[1]. Palestiniens, sans-papiers, ouvriers licenciés, opprimés de tous poils, le chevalier blanc est de tous les combats, collé devant l’écran. Il le dit haut et fort, le plus souvent sur Internet : la paix, maintenant[2], et des emplois pour tous. Il vomit fréquemment ; probablement en raison d’une alimentation peu digeste constituée principalement d’oppresseurs et de fascistes, à l’en croire et comme semble nous l’indiquer son cri de ralliement : « Je vomis les fascistes et les oppresseurs. »

L’idéologie du chevalier blanc est fruste mais belle : si tout le monde était comme lui, aussi généreux moralement qu’il est, le monde serait parfait. Un endroit formidable, libéré de toute forme de violence, où les sans-papiers en auraient, de même qu’un emploi et une jolie paire de baskets. Selon les chevaliers blancs les plus radicaux, il faudrait probablement pendre un ou deux patrons par les tripes mais une fois passée cette formalité qui pourrait d’ailleurs se révéler tout à fait agréable pour peu qu’on y mette un peu du nôtre, on y arriverait, si tout le monde était généreux comme eux. C’est fondamentalement cela qu’il manque aux autres hommes : le cœur d’or du chevalier blanc[3]. Car le chevalier blanc, clair, lucide, pas dupe pour un sou dans ce monde viril gouverné par les bourses, le sait bien, lui, que les hommes, les autres, sont tous des salauds. D’ailleurs certains s’en sont pris directement à lui[4], ce qui constitue une autre vérification éclatante de ce qu’il avance : le monde est aux mains des nazis[5]. Tous les chevaliers blancs s’accordent sur ce point, de même que sur l’inévitable corollaire qui s’ensuit, logique implacable, foudre de raisonnement : le chevalier blanc est un résistant. Il n’a pas choisi, la plupart du temps. C’est juste “sa nature’”. Il est “comme ça”, le chevalier blanc. La misère et l’injustice lui font horreur, depuis tout petit. C’est une de ses caractéristiques, partie de son brevet de chevalier blanc et qui le met tout à fait à part, loin de la folie des hommes, sereinement au-dessus de la mêlée des ignorants. Il ne tolérerait pas d’être autrement.

Le voici lâché, ce maître mot du chevalier-blanc. La tolérance. Le chevalier blanc est tolérant, il tolère tout, sauf bien sûr ce qui est intolérable, comme par exemple la guerre et la misère, et ne pas partager ses opinions sur la misère ou sur la guerre et encore moins sur les deux à la fois. Car ici sa tolérance s’arrête, et là de sa maxime il puisera la force : ne pas partager son point de vue est proprement intolérable. Fasciste, même, n’ayons pas peur des mots[6]. Ainsi, lorsqu’il rencontre un être humain pour la guerre, ce qui lui arrive fréquemment sous nos fascistes latitudes, le chevalier blanc ne tient plus : il se révolte[7] et se lance dans sa Grande Croisade pour le Bien[8], l’étendard claquant au vent : il ne tolérera pas cela une seconde de plus et tient particulièrement à le faire savoir aux autres chevaliers blancs.

Le complexe du chevalier blanc est une maladie fréquente chez le rebelle de plateaux de télévision[9]. Elle est heureusement bénigne pour le sujet, à tel point que le chevalier blanc même et surtout le plus atteint ne s’apercevra jamais de son mal, mais terriblement contagieuse, et souvent nuisible pour son environnement.

Notes

[1] Il en va de l’intégrité du chevalier blanc : jamais il n’abdiquera sa liberté de pensée, l’amitié dût-elle en souffrir.

[2] Le cynique aura donc beau jeu de lui répondre : ah oui tiens, la paix, fous-nous la donc, maintenant.

[3] Le mauvais esprit, encore lui, sur les pas de Bernanos, signalera que le chevalier a en réalité le cœur dur, et la tripe sensible. Les habitudes émétiques du chevalier blanc, discutées plus haut, semblent lui donner raison, au moins sur la partie tripe.

[4] Leur patron, souvent ; généralement, leur intégrité a tenu le cou pendant que le reste pliait l’échine.

[5] La preuve : 39-45.

[6] Le chevalier blanc n’a jamais peur des mots. En revanche, les mots semblent avoir peur des chevaliers blancs : il n’est qu’à constater combien peu des premiers gravitent autour des suivants.

[7] L’étymologiste goguenard s’attend d’ailleurs à tout moment à le voir tourner en rond.

[8] Croisade qui, bien entendu, n’a rien à voir avec les terribles Croisades de l’Église, sources de misère et de guerres sans fin.

[9] Dont chacun connaît maintenant la définition, grâce à ce type qu’il faudra bien se résoudre à googler un jour, « Le rebelle est facile à reconnaître sur un plateau télé, c’est celui que tout le monde applaudit. »