Lire Muray provoque instantanément un éboulis de lecture risibles et terribles à la fois, un effondrement du sens commun qui cherche à nous soutirer quelque chose, souvent notre argent, parfois notre opinion, notre indignation, notre colère, et qui ne peut déclencher que notre rire, dans les bons jours. Un mailing, puisque c’est le nom de baptême de ce document d’ailleurs parfaitement innommable, avouons-le et ainsi excusons ses parents de ne pas avoir trouvé mieux, est donc arrivé ce matin dans ma boîte à lettres[1]. Bien sûr au début, ils me sont très reconnaissants de les avoir choisis. Rentrons plutôt dans le vif du sujet : « Aujourd’hui, pour vous remercier et vous apporter toujours plus de plaisir au quotidien » et là arrêtons-nous tout de suite : je vous le demande, qui pourrait me proposer, commercialement s'entend, de m’apporter « toujours plus de plaisir au quotidien », si ce n’est une pute, et encore, une pute drôlement sûre d'elle[2] ? mais reprenons là notre lecture sans plus nous attarder sur la profession exacte de notre correspondant : « Aujourd’hui, pour vous remercier et vous apporter toujours plus de plaisir au quotidien, Numéricable vous propose de vivre intensément chacun de vos loisirs numériques. »

C’est vrai, je l’avoue, à ma grande honte[3], j’avais tendance à vivre assez mollement mes loisirs numériques. Sans doute existait-il un moyen pour qu’enfin je les vécusse intensément…

« Dès maintenant, en plus de votre offre actuelle accédez à une large sélection de programmes TV, en soirée comme en journée, avec notre offre 100 % numérique très tentante : »

Je vous ai laissé la ponctuation, ou plutôt son absence confondante après « actuelle », ainsi que la graisse d’origine, au cas où vous n’auriez pas compris de quoi on parlait. En revanche, j’insiste sur la tentative de performatif : « notre offre très tentante ». Sans doute le dire suffit-il.

Je passe rapidement sur leur offre : ils me proposent de payer plus pour avoir la télé, alors que, six mois auparavant, j’ai eu un mal de chien à négocier qu’ils me l’enlèvent afin que je paye moins.

Reprenons l’argumentaire : « Immergez-vous au cœur de la HD, vibrez pour les grands évènements sportifs, divertissez-vous avec les meilleures séries », franchement, « divertir » à l’impératif, qui a osé cette grotesquerie ?[4] mais le dessert, la cerise infographiée de ce gâteau numérique est à venir : « émerveillez-vous des programmes découvertes, restez au cœur de l’actualité… Et surtout, ne manquez plus vos programmes préférés grâce à la télévision de rattrapage ».

Nous y voilà. Il y a des mauvais téléspectateurs qui manquent leurs programmes préférés comme les mauvais élèves l’examen. Ceux-là ont droit à la télévision de rattrapage. Et soudain je m’effraie : pourrait-il exister de tels idiots, de grandioses créations des temps modernes capables même d’être mauvais téléspectateurs ? Pire : serait-il possible que, dans cette improbable éventualité, quelqu’un constatant le fait décide alors de leur donner (« au plus vite », j’imagine) une chance de se rattraper ? Qu’on les aide ? Que la sélection naturelle soit donc un vain mot ?

Cela s’achève[5] :

« Avec autant de soirées réussies à venir, il ne vous reste plus qu’à choisir avec qui les passer ! » C’est signé Julie S. Il y a un numéro de téléphone. Je vais appeler, et demander à Julie de me procurer toujours plus de plaisir au quotidien. J’ai trouvé avec qui passer mes soirées.

Notes

[1] Et non dans ma boîte mail. C’est que je recopie, moi, on ne parle pas de mail, mais bien de mailing, je ne vais quand même pas m’user les doigts là-dessus plus que de nécessaire pour me moquer d’eux.

[2] "Du plaisir au quotidien", je veux bien, ça me semble rentrer dans les attributions standard d'une pute quelconque, mais "toujours plus" ? Allons. Ça pue la simulation.

[3] La honte est toujours grande quand on l’avoue, l’aviez-vous remarqué ?

[4] Sans parler de vibrer « pour » quelque chose, serpent de mer bien connu et qu’on ne relève même plus car « il ne fait plus débat », mais qui est donc bien plus dangereux. Vibrer pour, comme la corde vibre pour l’archet ? Non, elle vibre pour donner un son. Probablement comme le téléphone vibre pour… pour quoi au fait ? Pour quoi vibre-t-on, en vrai ?

[5] C’est exactement le mot.