Olivier Besancenot est face au même paradoxe que Tyler Durden : il prêche l’absence de chef, mais c’en est un. Dans Fight Club, seule une schizophrénie fantaisiste parvient à sauver la cohérence. Il faut supposer que les hommes ne suivent pas Tyler Durden, à qui tout le monde voudrait ressembler. Ils suivent Edward Norton, sinistre anonyme pas même nommé dans le script, qui n’est lui-même pas conscient d’être suivi. Pire, Norton lui-même suit Tyler Durden. Il se suit donc lui-même, fasciné par cette partie de lui tellement autre qu’il l’expulse de son ego, trop petit pour la contenir[1]. Car Tyler Durden est une contradiction dans les termes : il ordonne de ne pas obéir aux ordres, il entraîne à ne pas se laisser entraîner, il propose d’anéantir la conscience de soi en imposant son image hautement autoconsciente[2]). Il est le 1 devant les 0 qui prétend être un 0 et enseigne aux autres 0 qu’il ne sert à rien d’être le 1. Mais personne ne suit Edward Norton.

Olivier Besancenot est dans le même cas. Lui en est conscient bien sûr[3], pas d’artifice scénaristique ici (on en déduit ce que Fight Club manque avec cette schizophrénie de guignol, le moment où il s’éloigne de la littérature et se transforme en grand cinéma). Il doit donc répondre de ce paradoxe. De là le positionnement de facteur innocent, et de porte-parole, jamais de chef de parti. Le reproche vient alors tout naturellement : il est charismatique, il convoie l’image du chef mais se défend de l’être. Il est Tyler Durden et cherche à imposer une figure anonyme, nortonesque. Il contrôle donc son image. Or qui contrôle son image, si ce n’est le chef ? Il se retrouve pris au piège du paradoxe : il établit une stratégie de communication qui consiste à dire que, contrairement aux autres, il n’est pas là pour communiquer. Aucune deus ex machina ne vient à sa rescousse pour le tirer du paradoxe, il ne peut pas prétendre être un autre. L’artifice est ailleurs : dans la conscience de qui l’écoute. Il compte sur l’audience pour relier les pointillés de la schizophrénie nécessaire à la cohérence du discours. Cela fonctionne tout à fait.

Une doctrine de gouvernement aussi autoritaire, aussi vigoureuse que celle du NPA (réquisitions, nationalisations, interdiction des licenciements, limitations diverses de la liberté d’entreprendre), lorsque portée par un anonyme autoproclamé, devient tout de suite plus sympathique : désincarnée, l’autorité n’effraie plus car elle manque de dictateur, seule forme immédiatement connaissable de l’autorité mauvaise. Si OB prenait des accents martiaux et affirmait haut et clair qu’il viendra lui-même et en milice casser la gueule de qui n’est pas d’accord avec sa justice, on peut légitimement supposer[4] que le discours porterait beaucoup moins ou, du moins, qu’il effraierait beaucoup plus. On l’accuserait de visée dictatoriale, de fascisme en réalité. Évidemment, il ne sert à rien de constater qu’une autorité s’exerçant de manière anonyme est bien plus effrayante qu’une autorité personnifiée contre laquelle il sera facile d’articuler un discours, de monter une opposition, d’effrayer en fait. Même Orwell avait besoin de Big Brother pour effrayer[5]. De même, la contradiction d’un état fort sans autorité forte n’arrête pas le discours. C’est ici, encore, comme toujours, la loi du moindre effort : on veut un état juste, on imagine une autorité qui rend la justice. Pouf pouf. On ne s’occupe pas de la penser. On ne s’occupe pas de la caractériser comme « forte » (omnisciente, en réalité ; omnisciente factuellement et omnisciente moralement). On se dispense ainsi d’en être effrayé.

Notes

[1] Raccourci. Ce n’est pas une question de taille, mais de cohérence de la pensée. Pourtant, l’image demeure juste, car qu’est-ce qu’une pensée qui ne peut contenir de contradiction, sinon une petite pensée, une pensée en une seule dimension ?

[2] Si quelqu'un a un meilleur équivalent français pour self-conscious, je suis preneur.

[3] Sûrement David Fincher aussi. Chez Palahniuk ?

[4] En fait rien du tout. Le « légitimement » ici, n’est là que pour auto-légitimer le « supposer ». C’est du performatif. Qu’on ne vienne plus me parler de faillite. J’en parlerai, tiens.

[5] Pour cause, il est difficile d’imaginer qu’une telle autorité forte puisse se passer de chef. Soit qu’on veuille personnifier l’origine du mal pour en faciliter l’appréhension, soit qu’on ne l’imagine pas dépersonnifiée, tout simplement. Satan a de beaux jours devant lui.